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Libération
Interview

«Les Bienveillantes», roman à controverse

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Deux historiens et un spécialiste du roman contemporain jugent le prix Goncourt.
publié le 7 novembre 2006 à 23h59

Le succès du roman de Jonathan Littell suscite un double débat, à la fois littéraire et historique. Le parti pris formel est-il à la hauteur du sujet ? Le lecteur peut-il s'appuyer sur cette fiction pour comprendre le génocide ? La réponse de deux historiens de la Seconde Guerre mondiale et d'un spécialiste du roman contemporain.

«Il est légitime que la fiction s’empare d’un sujet pareil»

Christian Ingrao est né en 1970. Agrégé et docteur en histoire, directeur adjoint de l’Institut d’histoire du temps présent, maître de conférences à Sciences-Po, il vient de publier les Chasseurs noirs, la brigade Dirlewanger (Perrin).

«Il est parfaitement légitime que la fiction s'empare d'un sujet pareil. Elle le fait avec ses forces et ses faiblesses. Ses forces : elle fait passer les sensations, les affects, les jeux mémoriels, elle transmet une expérience, quand le livre de l'historien, lui, reste analytique. La faiblesse de Jonathan Littell est malgré tout de rater l'émotion nazie, moteur du passage à l'acte.

«J'ai fait ma thèse exactement sur le même sujet, ces intellectuels nazis du service de renseignements SS, qui ont pris les armes, ont tué des femmes, des enfants. Ce qui fait passer ces hommes à l'acte, c'est l'angoisse et la haine. C'est aussi la ferveur, l'utopie, dans laquelle l'extermination des Juifs est la condition sine qua non pour la germanisation des territoires occupés : ils pensent : "C'est eux ou nous" ; ils pensent aussi : "Il faut les tuer pour cr