Ce fut, aussi, une blessure française. A distance, dans ce pays où les armées ne sortaient plus de ses casernes, au coeur d'une Europe protégée, l'annonce du coup d'Etat fut entendue par tout un peuple engagé les larmes aux yeux. Plus de trente ans plus tard, et quel que soit le respect qu'on devrait éprouver devant la mort d'un vieillard, la mémoire de l'événement cet autre attentat du 11 septembre empêche la compassion. Allende s'est suicidé, Pinochet est mort dans son lit. L'Histoire, décidément, se rit de la morale.
Les souvenirs remontent en foule, qui ne touchent pas seulement ceux de cette époque-là, mais toutes les générations. Le regard des militants raflés, les stades emplis d'une foule fiévreuse, les doigts brisés du chanteur de la gauche chilienne, Victor Jara, le calme d'Allende avant l'assaut de la Moneda par les soldats rebelles. Allende, ce prudent, ce démocrate ultra-légaliste, ce politique enclin au compromis qui allait mourir sans peur, les armes à la main. Et dans les rues de Santiago, les bottes bien cirées de bataillons défilant au pas de l'oie. C'étaient celles dont parlait Orwell, celles qui «écrasent un visage humain», celui du socialisme de nos rêves.
Le Chili de ces années-là est devenu un mythe européen parce qu'on noyait dans le sang une expérience parfaitement démocratique. La lumière venue de l'autre côté du monde se reflétait dans nos parages politiques. L'Unité populaire venue au pouvoir en 1971 «el pueblo unido» incarnait