Il ne saurait appartenir aux magistrats de définir des normes esthétiques qui échappent de plein droit à leurs codes de lois. Mais ils peuvent être amenés à se prononcer malgré tout sur ce qu'est une oeuvre d'art, c'est-à-dire à répondre à une question décourageante tant elle est hérissée de chausse-trapes. Jusqu'à quel point un artiste doit-il y mettre la main à la pâte lui-même pour qu'une oeuvre soit dite la sienne (affaire Spoerri) ? Un artiste peut-il s'approprier l'exclusivité d'un procédé de fabrication qu'il a inventé et qui a fait son succès (affaire Christo) ? Un pape de l'iconoclasme doit-il être protégé contre le zèle de disciples iconoclastes retourné contre lui (affaire Duchamp) ? Dans ce dernier cas, la question se creuse en abyme, puisque l'objet d'art en question est un produit industriel quelconque ou plutôt une réfection tardive et en petite série de ce qu'on ne peut légitimement plus appeler un original, ce qui ne l'empêche pas d'être l'oeuvre la plus «originale» du XXe siècle.
Ces affaires ont en commun d'aborder les choses par l'intermédiaire du droit de propriété (intellectuelle) : un client qui s'estime trompé, un musée qui voit un de ses biens dévalué, une querelle de brevetabilité. Or chacune de ces oeuvres met en question cette propriété des choses. Les reliefs de repas de Spoerri, l'universel emballage de Christo ou la porcelaine sanitaire de Duchamp ne prennent leur sens qu'à se revendiquer d'une plus foncière impropriété. Bien sûr, depuis un si