Ethnologue au CNRS, Jeanne Favret-Saada travaille sur le blasphème et a étudié notamment l'affaire Rushdie. Elle sort en mars un livre sur les caricatures de Mahomet, fruit d'une longue enquête au Danemark (1). Entretien.
Comment la décision de publier ces dessins a-t-elle été prise ?
En août 2005, le Jyllands-Posten [quotidien conservateur, ndlr] découvre plusieurs autocensures parmi les artistes, motivées par la peur de l'islamisme. Le journal monte une expérience in vivo et demande à des dessinateurs de dessiner Mahomet «comme ils le voient». Le dossier s'appelle «Les visages de Mahomet». Les articles sont très clairs sur le fait qu'ils s'en prennent aux imams islamistes, et pas aux musulmans. Un des dessins montre la tête de Mahomet coiffée d'une bombe : il est dénoncé comme la manifestation la plus claire d'islamophobie, alors que le dessinateur visait les justifications coraniques des poseurs de bombes.
Qui a instrumentalisé la crise ?
Après la sortie des dessins, pendant quinze jours, la presse n'en parle pas. Un très petit groupe d'imams islamistes se mobilise autour d'Abou Laban, un Palestinien issu de la mouvance des Frères musulmans. Abou Laban tentait depuis 2003 de se faire reconnaître comme le leader des musulmans au Danemark. Avant la sortie des dessins, il avait signifié au journal l'existence d'un interdit sur la représentation du prophète, y compris par les non-musulmans ce qui avait renforcé la détermination du Jyllands-Posten. Dè