«La rue Spontini, c'est le passé d'Yves Saint Laurent. C'est là où il a connu la pire émotion, il y a vingt ans, alors qu'il venait de quitter Dior et qu'il se lançait de lui-même, tout reposant sur lui, dans sa propre maison : là, il le savait, ce coup d'essai devrait être un coup de maître, faute de quoi il serait le premier et le dernier. Tout le monde vint croquer l'imprudent et tout le monde en ressortit ébloui.
«Depuis, Saint Laurent n'a fait que deux flops : le principal fut celui de l'année 71 où il relança la mode 1940 et où l'on revit toutes les femmes avec des sacs en bandoulière, des jupes courtes et des semelles compensées. Ce jour-là, donc, de nombreuses femmes comme il faut quittèrent le salon dès le début de la présentation. Elles ne voulaient pas, disaient-elles, «côtoyer des putains». Mais les autres femmes, les inspirées, les femmes du monde comme on dit, celles qui ont pour elles un goût de découvrir, d'applaudir, un goût du changement qui en font des mécènes pour les couturiers - quoique parfois d'avares mécènes - vinrent et décidèrent, elles, que c'était sublime, et tout le monde suivit.
«Mais Yves Saint Laurent avait eu peur. Il avait eu peur parce que chaque échec peut lui être fatal, parce que quatre ou cinq échecs à la file voudraient dire la catastrophe, c'est-à-dire l'impossibilité de créer la haute couture avec les moyens énormes que cela comporte. Surtout, cela voudrait dire qu'il ne ressent plus quand il travaille cette intuition, ce senti