Doucement, tout doucement, il semble ressusciter. Conduit lundi à l’aube à l’hôpital de Genève, Jean-Claude Romand paraissait avoir à peine un lendemain à vivre. Les pompiers viennent alors de le tirer de sa villa en flammes, à Prévessin, un petit bourg français blotti contre la frontière suisse.
Cette nuit-là, Jean-Claude Romand a avalé de l’essence, des médicaments aussi peut-être. Puis il a calfeutré les portes, les fenêtres, allumé un brasier. A côté de lui, sur le lit conjugal, les pompiers découvrent sa femme, Florence, morte. Et dans la chambre des enfants, deux cadavres carbonisés. Pour le survivant, «état critique et coma profond», diagnostiquent pendant trois jours les médecins suisses.
Trois jours au cours desquels l’autopsie révèle que Florence Romand et les enfants ont été assassinés. D’autres enquêteurs, plus haut vers le Jura, découvrent ensuite les parents de Jean-Claude, dans la maison familiale. Morts eux aussi. Puis, d’un coup, lors d’une banale vérification, c’est une existence entière qui bascule.
«Jean-Claude Romand avait une double vie dont il était le seul à connaître l'existence, explique Jean-Yves Coquillat, premier substitut au tribunal de Bourg-en-Bresse. Ni ses intimes ni même sa femme ne l'ont soupçonné pendant vingt ans.» Et, dans un lit blanc, à l'hôpital de Saint-Julien-en-Genevois, où l'amélioration de son état a permis son transfert en fin de semaine, c'est cet homme-là qui va se réveiller, celui que les enquêteurs s'apprêtent à entendre en début de semaine prochaine.
En bordure de la Suisse, le pays de Gex,vert et vallonné, ne ressemble à rien d'autre dans le département de l'Ain. Depuis les années 60 s'y est installée une tribu dorée de cadres supérieurs, de fonctionnaires internationaux, de commerçants aisés, qui jouent à saute-frontière entre les salaires suisses et l'art de vivre français. D'emblée, entre soi, on s'y tutoie, on s'y embrasse, on s'y reçoit. On y affiche sans façon «à l'américaine», dit-on des maisons et des voitures au luxe tranquille. Lorsque les Romand y arrivent en 1984, ils semblent y avoir trouvé leur terre promise.
Le jeune couple n'a bien sûr alors qu'un petit appartement et une Volvo. Mais lui compte bien asseoir sa situation de chercheur, qu'il dit prometteuse, au sein de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) à Genève. Elle est pharmacienne. Leur vie se décline, nette et pimpante, comme un faire-part.
Il y a leur rencontre dans le Jura, dont il est originaire, provenant d’une famille modeste, et où elle passait ses vacances. Puis leurs études à Lyon, dans les années 70. Leur mariage, en 1980. Le diplôme de Jean-Claude en 1983. Puis la naissance de Caroline en 1985 et celle d’Antoine en 1987. En 1990, ils s’installent enfin dans une villa, roulent en BMW. Florence a tenu à ce que les enfants soient inscrits dans le privé, à l’institut Saint-Vincent, tout à côté de Prévessin, une des écoles les plus choyées du département. Elle y assure d’ailleurs un rôle actif dans l’association des parents d'élèves, avant de filer au catéchisme à Prévessin, avec le père Michel, ou d’aider à la pharmacie où elle fait des remplacements. Et tout cela, avec un de ces sourires, une de ces élégances qui font la fierté du pays de Gex.
Jean-Claude, lui, est plutôt discret. «Solide, si