C'était le samedi. Je chopais Libé sur le tourniquet de la marchande, comme on décroche un pompon au manège. N'était le lieu, j'aurais bien humé à plein nez le papier à l'encre séchée de peu dans les fourgons des Nouvelles Messageries de Presse, et caressé la chair de poule en bas de page. Mais ma mère m'attendait dans la voiture, et elle allait me lancer son «Dépêche-toi, il faut encore passer à Unico.»
Du coup, je zappais sur la une du Fig-Mag et de L'Huma. Le journal au losange rouge se retrouvait voisin de La Dépêche du Midi, et nous filions chez l'épicier acheter des pilchards. J'étais alors un gros garçon joufflu de la campagne, bon rougeaud roteur d'ail, bon puceau qui demandait à ne plus l'être - mais ça tardait, et l'offre et la demande ont des caprices.
Pendant que mon père lisait les annonces nécrologiques de La Dépêche du Midi, histoire de savoir si des classards n'avaient pas passé l'arme à gauche, moi, je plongeai tout habillé dans le marigot des annonces «chéries» de Libé.
Alors s’allumaient les lampions d’une fête clandestine. Ce que je guettais, surtout, au milieu du casting de fascinants personnages, et de baroques décors, c'était, dans le magasin des accessoires, les dix lettres du mot magique :
C, U, I, S, S, A, R, D, E, S.
A travers les trous de la palissade, je hasardai un oeil sur les terrains de jeux interdits. La lecture secrète me laissait écartelé entre la fascination et la répulsion. J'étai