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Se méfier des Chinois ou de nous-mêmes ?

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par Marie-Claire Bergère, historienne et sinologue
publié le 16 mars 2013 à 17h15

La méfiance qui s’exprime aujourd’hui à l’égard de la Chine au sein de nombreuses entreprises, d’institutions nationales ou internationales ou des médias renvoie à un vieux réflexe de peur apparu à l’extrême fin du XIXe siècle. L’inventeur du «péril jaune» a été l’empereur Guillaume II, qui fit réaliser en 1895 un tableau allégorique représentant des hordes asiatiques se lançant, sous la conduite de Bouddha, à l’assaut des nations européennes figurées par de fortes femmes armées pied en cap et rassemblées sous l’aile de l’archange Saint-Michel pour défendre le christianisme.

Relayée en France par des essayistes, tel Edmond Théry, auteur du Péril jaune paru en 1901, ou des hommes politiques comme le sénateur Paul d'Estournelles qui multiplie discours et pamphlets, l'idée se répand d'un danger que l'Asie orientale (Chine et Japon) représenterait pour la civilisation, la puissance militaire et économique, la survie même de l'Occident.

Des historiens, des géographes, des économistes, des syndicalistes, des romanciers même, comme Anatole France, participent au débat. Au-delà du racisme, qui à cette époque de colonialisme triomphant s'exprime sans ambages, des peurs se font jour : peur de la submersion démographique - «nous touchons au moment tragique où le trop plein de la Chine débordera par-dessus ses murailles» -, d'agression militaire – «l'amour de l'argent, le besoin de vendre des canons l'avaient emporté chez nous sur l'instinct de conservation» -,