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TRIBUNE

Il n'y a pas une, mais deux pensées uniques

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Jacques-Alain Miller (Photo Nathalie Tufenkjian. DR)
par Jacques-Alain Miller, philosophe et psychanalyste
publié le 29 mars 2013 à 12h14
«Pensée unique» se dit en plusieurs sens. Son sens le plus général l’identifie au «Groupthink» (Irving Janis, 1971). La signification particulière qui l’emporte sur les autres est dépréciative : elle vise la vulgate libérale commune à ce «cercle de la raison» qui tient l’Europe pour «un petit coin de paradis» (1).

Admettons que cette pensée existe. Sa logique ne la porte nullement à promouvoir un modèle unique de la famille. On lui fait un grief tout contraire, celui de ruiner les standards collectifs (normes et traditions, habitudes et coutumes) pour ordonner le Bien à l'individu. Elle est pour le sur-mesure, l'option, le multiple. A l'horizon, c'est la privatisation du mariage par contrat ad hoc (proposition de David D. Friedman, 2001).

Il n'y a pas une, mais deux pensées uniques

La défense de la famille modèle unique est assurée par une toute autre pensée. Celle-ci s'exprimait dans la rue dimanche dernier par des slogans tels que : «Un enfant = un papa + une maman / Merci papa, merci maman / Papa + maman : il n'y a pas mieux pour un enfant» etc. Combien savent que, sous cette forme lapidaire, défilait dans les rues de Paris la théologie qui tient le haut du pavé au Vatican depuis l'encyclique Æterni Patris (pape Léon XIII, 4 août 1879) ? Pensée unique si l'on veut, mais anti-libérale, organique, ordonnant le Bien à la communauté humaine dans son ensemble.

Il n’y a pas une, mais deux pensées uniques. L’une est libérale-libertaire, elle épouse les évolutions de la société. L’autre est romaine, elle est fixiste et se règle sur ladite loi naturelle. Pour simplifier, disons que la première a la faveur des bobos, tandis que la seconde rallie les «tradis» ou ploucs. L’impasse du lien matrimonial, le dysfonctionnement des familles, tout le monde en a l’expérie