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Libération
Forum Île-de-France

Mort aux vaches !

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L'écrivain français Jean-Bernard Pouy présente sa dernière nouvelle à l'occasion du Forum à Vitry, organisé par «Libération». Les premières lignes en avant-première.
par Jean-Bernard Pouy, écrivain
publié le 14 juin 2013 à 18h33

- Ah putain, Gérard, ça fait plaisir ! Ça va ? T’es toujours vivant ? En tout cas, t’as l’air !

De le revoir, même quarante ans après au bas mot, la même casquette en cuir beige, la même canadienne en cuir fauve, la même gueule en cuir frappé, et le rictus pareil, ça m’a fait un choc. Raymond, Raymond «le démonte-pneu», comme on le surnommait à l’époque. Pilier incontournable et incassable du Service d’Ordre de la CGT des électriciens de la Centrale Arrighi de Vitry, en bas, près de la Seine. Ce mec, on se l’était cogné une bonne dizaine d’années, voire même plus et au sens propre du terme. Car c’était plutôt lui qui nous prenait pour des punching-balls et on n’a jamais vraiment pu lui mettre la calebasse au carré. Qu’est-ce qu’on l’a haï, ce sbire, à tel point que l’on s’est habitué à le haïr et qu’il nous aurait presque manqué s’il avait disparu dans les bureaux insondables de la Fédé.

Nous/on, c’était la (petite) section @nar de Vitry. Les stals nous connaissaient par cœur, nous avaient largement tapissés, nous foutaient la paix si on les croisait au Printania (là, on n’avait droit qu’à divers noms d’oiseaux exotiques ne vivant qu’en Allemagne de l’Est), mais, dans une manif, ce n’était pas pareil, ils avaient l’habitude de se faire la main, qu’ils avaient lourde et épaisse, sur nos carcasses de gauchos infantiles, appointés par le capital international, vendus à l’impérialisme, traîtres à la classe ouvrière que, même, ils étaient prêts à pardonner aux trotskos de nous avoi