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Libération
TRIBUNE

Les faux pas du dialogue social

L’incapacité à conclure ne réside pas tant dans les désaccords sur les mesures à prendre que dans la procédure suivie pour rénover le dialogue social.
par Antoine Bevort, (professeur de sociologie au CNAM)
publié le 29 janvier 2015 à 15h48

Contrairement aux espoirs de refondation des uns, aux craintes d’une régression d’autres, les plus que jamais mal nommés partenaires sociaux n’ont pas réussi à conclure la «

négociation relative à la qualité et à l’efficacité du dialogue social dans l’entreprise et à l’amélioration de la représentation des salariés

».

L’échec confirme certes la nécessité d’une modernisation du dialogue social, mais aussi et surtout l’épuisement d’une méthode dont les mois passés ont illustré toutes les dérives. En effet, l’incapacité à conclure ne réside pas tant dans les désaccords sur les mesures à prendre que dans la procédure suivie pour rénover le dialogue social.

Pilotage politique. La difficulté gît d'abord dans le fait que l'autorité politique continue à agir comme maître de ballet du dialogue social, que cela soit pour lancer, amorcer, demander une négociation, en définir l'ordre du jour et le calendrier, ou in fine la conclure. Or la puissance publique n'a ni la légitimité, ni la compétence pour agir en la matière. D'une part, le dialogue social relève par définition de la sphère des acteurs sociaux, d'autre part, les administrations ne sont pas des exemples de dialogue social. Alors que le pilotage politique et administratif des relations de travail et d'emploi est en échec, il faut laisser les acteurs syndicaux et patronaux être maîtres de leur agenda et calendrier de négociations en toute autonomie.

Bien entendu, cela n’a de sens que si les organisations patronales et syndicales bénéficient d’une reconnaissance équivalente dans la conduite de ce dialogue. Là réside la deuxième difficulté. Le patronat a pesé à l’excès sur cette négociation, selon une tradition désormais bien établie qui fait du Medef le danseur étoile des délibérations sociales. S’appropriant la rédaction des textes en discussion, le patronat apparaît comme l’organisation prête à des concessions tout en sauvegardant ses objectifs stratégiques. Il gère à sa guise le tempo, faisant évoluer le texte dans des conditions assez opaques selon de complexes arbitrages internes aux organisations patronales et des compromis sélectifs avec une partie de ses interlocuteurs considérés comme les plus responsables. En outre, les textes en discussion ne filtrent que difficilement vers l’extérieur, et même en interne les négociateurs peuvent attendre en vain toute une nuit pour obtenir une nouvelle version.

Front commun. Que les syndicats acceptent cela est vraiment étonnant. C'est contraire à tout ce qu'on enseigne dans les sessions de formation syndicale : on ne négocie pas sur le seul texte patronal. On parle de ne pas continuer à négocier au siège du patronat, mais il s'agit surtout de ne pas négocier sur des textes patronaux si les syndicats ne veulent pas subir l'agenda et le tempo de la négociation imposés par le patronat qui détermine les compromis acceptables comme le point de rupture.

Encore faut-il que les syndicats soient capables de présenter un minimum de front commun ce qui nous amène à la troisième difficulté. En effet, les syndicats ont aussi à balayer devant leur porte. Le syndicalisme est faible et divisé et ne fait rien pour surmonter ses handicaps. La division syndicale entre une fraction réformiste et une fraction contestataire est entretenue à plaisir par ses différentes protagonistes comme par le gouvernement et le patronat qui privilégient avant tout un accord avec les seules organisations dites réformistes (CFDT, CFTC, CFE-CGC) arguant qu’elles sont par ailleurs majoritaires. Or, ces organisations ne représentent pas la majorité des suffrages des salariés contrairement à ce qui est écrit. Elles ne dépassent la barre des 50 % (et encore de justesse) qu’en retirant, pour calculer cette majorité, les suffrages qui se sont portés sur des syndicats non représentatifs. Plus fondamentalement, comment penser pouvoir bouleverser les règles du dialogue social sans intégrer dans un accord la CGT et FO ?

Il appartient aux organisations syndicales de se rencontrer avant les négociations pour surmonter au moins en partie leurs divergences ou alors être contraintes à l’immobilisme ou à la régression dont toutes seront comptables. La faiblesse de leurs assises devrait les amener à s’allier or elle ne semble qu’alimenter une compétition intersyndicale stérile pour les salariés.

Théâtre d'ombres. On aurait tort de conclure qu'il appartient désormais au pouvoir politique de reprendre le dossier. C'est nier la logique du dialogue social et surestimer la légitimité des pouvoirs publics à définir une nouvelle politique. En revanche, l'autorité politique devrait saisir l'occasion pour réfléchir aux dispositifs du dialogue social en échec. Les grands-messes comme les conférences sociales ou les ANI (Accords nationaux interprofessionnels) excessivement théâtralisés, ne sont qu'un théâtre d'ombres du dialogue social. Les délibérations sociales sont un processus continu, quotidien qui a besoin d'arènes spécifiques et de temps.

Pour autant, pas besoin d’inventer une nouvelle instance. Si les pouvoirs publics souhaitent vraiment relancer le dialogue social, ils pourraient par exemple reconnaître la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) comme une arène privilégiée, en lui donnant un rôle à l’instar de la Fondation du travail néerlandaise. Aux Pays-Bas, aucune réforme sociale ne peut se faire sans un avis de cette fondation, sans intégrer le fruit des délibérations de cette instance paritaire. En France, la Commission Nationale de la Négociation Collective est une institution méconnue, négligée. Au lieu de prendre la main, le gouvernement pourrait demander à la CNNC de reprendre le débat en lui donnant le temps d’élaborer un projet de réformes qui fasse un minimum consensus. Cela serait un premier pas vers un dialogue social efficace et de qualité.

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