Il fallait le voir rougir sous les compliments, l'ancien ministre du Travail. Ex-collaborateur de François Mitterrand, Jean Auroux, 72 ans, visage orné d'un collier de barbe blanc, appartient à l'Histoire sociale française. Celle du dialogue dans l'entreprise et des luttes pour l'extension des droits des salariés. L'homme a donné son nom aux lois fondatrices de 1982 qui créent, entre autres, les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Devant un parterre composé principalement de salariés élus de comités d'entreprise, qui fêtent leurs 70 ans cette année, le «retraité militant», comme il se définit lui-même, est en terrain conquis.
CNR. Le premier compliment est venu du sociologue Alain Touraine, qui lance: «Les lois Auroux, on n'a jamais fait mieux», osant même l'adjectif «extraordinaire». Laurent Berger, l'actuel président de la CFDT, donne du «Jean» à l'ancien ministre. «Le dialogue social, on est en plein dedans depuis 70 ans, souligne Berger. Ce n'est pas un cadeau fait aux salariés, mais une vision de ce que doit être l'entreprise». Lorsque Jean Auroux a pris ses fonctions de ministre du Travail, il est retourné à la source. 1945 et le texte du Conseil national de la Résistance. «Je n'étais pas programmé pour être ministre du Travail, confie Auroux. François Mitterrand avait observé ce que faisait dans ma ville ouvrière de Roanne (ndlr : dont il a été maire de 1977 à 2001) et je me suis retrouvé à ce poste. Le chantier était immense.»
Routine. Il y a quelques semaines, les négociations sur l'amélioration du dialogue social, ardemment souhaité par François Hollande, ont échoué. Patronat et syndicats ne sont pas parvenus à trouver un accord. Dialogue social, dialogue social… L'expression est sans cesse ressassée. Que signifie-t-elle aujourd'hui ? Pour le sociologue Christian Dufour « le véritable problème, c'est que la mécanique de dialogue social s'est routinisée. Il y a une perte de sens, les gens ne savent plus pourquoi ils ont intérêt à devenir représentants. »
Laurent Berger aimerait qu'on valorise ceux qui donnent de leur temps au service des autres. «Le parcours des militants n'est pas forcément reconnu dans l'entreprise, déplore-t-il. Il faut qu'il soit valorisé, qu'on mette fin à cette idée que les représentants profiteraient de leur temps libre pour s'occuper de leur jardin le vendredi après-midi». Sur ce sujet des vocations, l'ancien ministre du Travail avoue sa «déception» : «Après le texte de loi de 1982, je pensais qu'on allait voir émerger plein de militants syndicaux. Mais ça n'a pas été le cas.» En France, le taux de syndicalisation plafonne toujours à 8%.
Si sa carrière est derrière lui, Jean Auroux garde un œil alerte sur l'actualité sociale. L'homme a un avis sur la loi Macron, et sur l'Union européenne qu'il voit comme «une institution singulière, voire perverse. La concurrence libre et non faussée, d'accord… Mais comment faire sans harmonisation fiscale et salariale ?» Lorsque la conférence s'achève, si Laurent Berger est sous le feu des questions, c'est le «retraité militant» qui aura l'un des derniers mots de la séance, plutôt touchant. L'homme de 1982 remercie chaque participant et déclare, comme pour s'excuser : «Je suis un peu gêné des compliments qu'on me fait… C'était un moment particulier de l'Histoire.»
(Photo Albert Facelly)