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Libération
Forum citoyen au Gabon. Interview

«La répression militaire seule ne pourra jamais venir à bout de ces groupes terroristes»

Selon le spécialiste de Boko Haram, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, si les Etats africains veulent venir à bout du terrorisme, ils doivent engager un dialogue avec les groupes radicaux qui sévissent sur le continent.
Depuis plusieurs années, différents groupes terroristes se sont développés un peu partout en Afrique subsaharienne. (Ide pour Libération)
publié le 21 septembre 2015 à 15h49
(mis à jour le 9 octobre 2015 à 0h00)

Marc-Antoine Pérouse de Montclos est spécialiste de Boko Haram à l'Intitut français de géopolitique. Il participera au débat : "Le défi terroriste, quelle coopération à l'échelle du continent ?" vendredi 9 octobre de 17h à 18h30 à la salle de conférence du stade de l'Amitié de Libreville. Inscription gratuite.

Doit-on voir dans l’émergence de mouvements radicaux comme Boko Haram, Aqmi ou les Shebabs une reproduction des mouvements djihadistes du Moyen-Orient ?
Non, je crois que les dynamiques locales importent plus que la globalisation d’un djihad mondial. Avec les Shebabs et avec ce que l’on appelait autrefois Aqmi, il y a quelques contacts et quelques échanges stratégiques et tactiques avec le Moyen-Orient mais ce n’est pas le cas avec d’autres groupes djihadistes en Afrique subsaharienne donc pour moi il faut d’abord s’intéresser aux conditions locales de l’émergence de ces groupes pour les comprendre et surtout ne pas y voir une simple projection des conflits du monde arabe. C’est beaucoup plus compliqué que ça.
De quels échecs spécifiques des Etats africains sont-ils le fruit ?
Très souvent ces groupes s’insèrent dans des vides politiques là où le pouvoir est défaillant et surtout là où le pouvoir est perçu comme corrompu et illégitime. À ce moment-là, la demande d’une application intégrale de la charia, le droit coranique, est perçue comme une forme de justice sociale et de réforme politique contre des régimes non seulement impies mais aussi corrompus qui ne font pas, ou peu, de redistribution sociale. C’est vraiment dans ce type de contexte que ce genre de groupes fleurissent. En Somalie, c’est l’ensemble de l’appareil étatique qui s’est effondré avec la fin de la dictature en 1991, mais ce n’est pas du tout le cas au Nigéria où l’Etat est beaucoup plus fort. Mais dans le nord-est où se trouve Boko Haram, et là il y a des parallèles à faire avec le nord du Mali, l’État a brillé par son absence. Il faut donc nuancer cette réponse suivant les cas et les pays mais d’une manière générale, ces groupes émergent surtout là où il y a du vide politique.
Quelle est leur influence sur la jeunesse ?
Quand vous n’avez pas d’autre modèle politique face à vous, c’est le rêve d’une société islamique idéale qui supplante le reste. Beaucoup d’Etats africains n’avaient plus, une fois passés la vague nationaliste des indépendances et les espoirs déçus du communisme, beaucoup de modèles de développement à proposer pour ces jeunesses désœuvrées et exclues de la croissance. De ce point de vue, l’Islam apparaît comme une forme d’alternative.
Quelle stratégie préconiseriez-vous aux États touchés par ces groupes djihadistes pour venir à bout de ce phénomène ?
Il y a juste un message très simple à faire passer, c’est que la répression militaire seule ne pourra jamais venir à bout de ces groupes. Il faut également qu’il y ait une réponse sociale et politique. Quitte d’ailleurs à devoir négocier. Avec la seule réponse militaire on voit ces groupes perdurer et parfois même élargir leur audience. L’invasion du sud de la Somalie par les troupes kényanes à partir de 2011 mais aussi la répression très violente de l’armée nigériane à partir de 2013 ont aussi légitimé les Shebabs et Boko Haram. Dans ces guerres asymétriques, on ne peut pas avoir seulement avoir une réponse militaire. Faire passer le volet social et politique à la trappe est, selon moi, une erreur très grave.
Vous parlez de dialogue et de négociation, cela vous semble possible ?
Aux yeux de beaucoup de dirigeants, dialoguer avec ces groupes apparaît comme une infamie, néanmoins sur le terrain le dialogue est nécessaire. Lorsqu’il n’y a qu’une réponse militaire, il y a beaucoup de dégâts collatéraux dans la population civile et je ne parle même pas là du point de vue des Droits de l’Homme ou de la morale. À partir du moment où les armées écrasent aussi les civils et les non-combattants, cela pousse ces gens à rejoindre ces groupes et cela les légitime. C’est donc complètement contre-productif.