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Libération
TRIBUNE

Silence, on émerge !

Sur un continent en pleine croissance économique, la liberté d’expression reste pourtant un droit encore très relatif en Afrique.
par Venance Konan, Journaliste et écrivain ivoirien
publié le 28 septembre 2015 à 18h31

Tribune. Si vous regardez une carte de la Gambie, vous verrez qu'elle se présente comme un long doigt enfoncé entre les fesses du Sénégal, séparant ce pays de sa partie australe appelée Casamance. Ainsi, pour aller de Dakar à la Casamance par la route, il faut traverser la Gambie. Il y a une dizaine d'années, en revenant d'un reportage dans la région, j'eus l'idée saugrenue de vouloir passer par Banjul, la capitale de la Gambie qui était l'une des rares de la région que je ne connaissais pas encore. Au poste frontière, ma qualité de journaliste fit tiquer les policiers. Mes bagages, mes poches, mon portefeuille furent fouillés avec la plus grande minutie. Et pour mon malheur, on découvrit dans mes affaires la carte de visite d'un réparateur de cellulaire d'Abidjan, à qui j'avais confié mon téléphone en panne quelques jours avant d'aller au Sénégal. Il avait dessiné un téléphone cellulaire sur sa carte. Le pandore gambien me demanda de lui montrer mon téléphone satellitaire. Lorsque je lui marquai mon étonnement, il me montra le dessin sur la carte de visite, qui prouvait selon lui que j'avais un téléphone satellitaire. Je ne savais pas s'il fallait rire ou pleurer. Je fus fouillé, refouillé, interrogé sur toute ma vie pendant plus de deux heures. A la fin, l'on me signifia que je ne pouvais pas entrer en Gambie en passant par Banjul. Je réalisai ma grande chance d'avoir été empêché d'entrer dans ce pays lorsque j'appris plus tard les assassinats ou disparitions de mes confrères Deyda Hydara, Ebrima Manneh, Alagi Sisay et tant d'autres journalistes, dans cette Gambie dirigée par Yahya Jammeh, un homme qui a tout d'un psychopathe. Chez lui, le bon journaliste est celui qui ne dit rien, n'écrit rien, ne montre rien.

Restons sur le continent africain. En République démocratique du Congo, on a jugé les présumés assassins de Floribert Chebeya, le fondateur de l’ONG «la Voix des sans voix». Mais à ce qu’il semble, le vrai commanditaire est épargné par la justice congolaise. Ce sont donc des seconds couteaux, voire des innocents qui vont trinquer à sa place. Ne parlons pas de l’Erythrée, de l’Egypte, du Soudan où aucun mot ne doit dépasser la parole officielle. Au Burundi c’est le correspondant de Radio France Internationale qui est passé à tabac pour avoir trop parlé. Au Burkina Faso, les partisans de l’ancien président Blaise Compaoré sont interdits de participer aux prochaines joutes électorales. Et au Nigeria, en Libye, les fous de Dieu réduisent au silence en égorgeant ou en faisant sauter à la bombe, humaine de préférence, tous ceux qui ne prononcent pas correctement le nom d’Allah. L’Afrique est en train d’émerger, dit-on. Alors, silence, on émerge !