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Takotak

L'Afrique face à l'explosion du mobile money

Avec un taux de bancarisation très faible, l'Afrique voit se développer à une vitesse grandissante le paiement par téléphone mobile. Interview avec Alban Luherne, directeur d'Orange Money.
Le directeur d'Orange Money, Alban Luherne participera au débat "Afrique 2.0" le samedi 10 octobre de 16h30 à 18h à la salle de conférence du stade de l'Amitié de Libreville.
publié le 5 octobre 2015 à 16h12
En quoi consistent les services de mobile money ?
Alban Luherne : Nous nous appuyons sur une technologie qui est très simple, c’est la téléphonie 2G qui est disponible dans tous les pays d’Afrique, ainsi que sur une technologie qui s’appelle l’USSD qui est assez proche du SMS. C’est important car cela veut dire qu’elle est disponible sur la quasi-totalité des terminaux. Le mobile money, c’est un portefeuille électronique qui est rattaché à un numéro de téléphone. Il faut s’inscrire dans le point de vente de son opérateur, alimenter son compte et après il est possible de faire un certain nombre de transactions, en particulier le transfert d’argent. On peut effecteur une multitude de paiements, entre proches, entre professionnels ou même en face à face. On peut aussi payer ses factures par téléphone. Cela nous semble assez banal mais en Afrique ça ne l’est pas car, faute d'infrastructures adéquates, même les plus simples des opérations financières peuvent s'avérer compliquées. par exemple, payer ses factures est souvent un vrai problème. Il y a peu de points de paiement, tout le monde s’y précipite au dernier moment et vous pouvez vite passer une demi-journée à faire la queue pour payer votre facture d’électricité.
Comment expliquez-vous le succès du mobile money en Afrique ?
En Europe, vous avez des taux de bancarisation très élevés et les services de paiement en ligne sont sont généralisés sur ordinateur ou sur smartphone. En Afrique, le contexte est totalement différent. Le taux de bancarisation est très faible, autour de 20% au mieux, ce qui veut dire qu’il y a peu d’agences bancaires car cela coûte cher et la rentabilité n’est pas garantie. A l’inverse, nous, opérateurs mobiles, nous avons des millions d’abonnés à nos services de téléphonie. Cela nous donne la possibilité d’offrir des services peu coûteux au plus grand nombre. C’est ce que j’aime appeler «l’innovation frugale», le mobile money répond à une vraie attente auprès de populations non bancarisées avec une barrière à l’entrée qui est très faible car un téléphone de 10 ou 20$ suffit pour utiliser le service.
C’est un système qui va perdurer dans le temps ou c’est une simple alternative le temps qu’un système bancaire digne de ce nom se développe ?
Je ne pense pas que ce soit un phénomène de mode. Aujourd’hui en Afrique c’est vraiment rentré dans les mœurs. L’écosystème du mobile money est illimité, on peut payer les salaires par mobile money, l’Etat peut verser les pensions de retraite, les bourses scolaires etc… C’est extrêmement vaste. Un véritable écosystème bancaire est en train émerger grâce aux services de mobile money développés par les opérateurs. En Côte-d’Ivoire, 10 millions d’euros transitent chaque jour par le service mobile money d’Orange, c’est colossal. Au Mali, la somme des transactions représente plus de 20% du PIB. Très bientôt, nous allons même importer le service en Europe pour permettre à la diaspora africaine d’effectuer des transactions avec le continent. Habituellement l’innovation fait plutôt le chemin inverse.
L’Afrique est-elle en train de construire son propre numérique ?
Dans une certaine mesure, oui. Les besoins sont assez proches, ce qui va différer c’est la manière d’y accéder. Les téléphones sont plus rudimentaires, mais finalement, ils remplissent leurs fonctions. Le commerce émergera non pas avec des cartes bancaires mais avec du mobile money… Il y a un tronc commun de besoins, mais c'est la façon dont ils se développeront qui sera différente.