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Libération
Forum citoyen au Gabon. Récit

«L’Afrique est devenue adulte»

Événementsdossier
Le continent connaît une croissance insolente mais peine à en faire profiter toute sa population. La question du développement inclusif était au coeur du débat «Une croissance pour tous».
Huit intervenants étaient rassemblés autour de la table pour le débat "Une croissance pour tous".
publié le 9 octobre 2015 à 18h30
(mis à jour le 10 octobre 2015 à 3h33)

Une croissance à faire pâlir l’Europe et un taux de chômage dépassant les 50%. Voilà le paradoxe de ce deuxième débat. La salle est comble. Dans un pays où le taux de chômage touche 35% des moins de 25 ans, la population n'a pas besoin qu'on lui fasse un dessin pour comprendre la nécessité d'une croissance qui ne creuse pas les inégalités.

Christian Mounzeo, coordinateur au Congo-Brazzaville de la coalition «Publiez ce que vous payez», mouvement qui lui a quand même valu d'aller en prison, pointe les problèmes d'accès à l'eau potable, à la santé, à l'électricité, le manque d'infrastructures. Tout manque. La société civile a son rôle à jouer. Mais les Etats aussi. «Il faut donner à la croissance un visage humain en la diversifiant, dit-il, en faisant émerger un tissu de PME qui créeront des emplois et créer ainsi le cercle vertueux qui permettra à la population de consommer». Rien évidemment ne se fera sans formation liée aux besoins. «Par exemple à Pointe Noire, au Congo, où se trouvent toutes les entreprises pétrolières, il n'y a même pas une école de formation dans les métiers du pétrole».

Rien ne sera fera donc sans une politique volontariste du gouvernement, rappelle Sylvie Dossou, responsable pays de la Banque mondiale pour le Gabon et la Guinée équatoriale. Le problème ? Il est décidément difficile de faire coïncider  l’offre de formations avec les besoins du pays. La ministre du Commerce et des PME - et ancienne présidente du patronat - Madeleine Berre avoue qu'elle ne peut guère dresser un profil des entreprises de son pays, combien il y en a, dans quels  domaines d’activité et quelles sont les plus porteuses de croissance. D’ici deux à trois mois, on aura une cartographie visible, promet-elle.

D'ici là, il faudra avancer à l'aveugle. Brouhaha de la salle, qui a du mal à se contenter de si peu. Il est vrai qu'il reste énormément à faire pour développer un tissu de PME: un cadre normatif, des procédures et des démarches administratives allégées, un dispositif fiscal susceptible d'attirer les investisseurs étrangers. Il faudra aussi inciter les entrepreneurs à jouer le jeu, adapter les formations professionnelles aux exigences du marché. Les intervenants dressent la liste, en vrac. La puissance publique a peut-être des moyens limités, mais elle doit s'impliquer, quitte à prendre des risques, souligne le responsable de l'expertise internationale de la Banque Publique d'Investissement, Vincent di Betta. Seule la puissance publique «peut savoir quelles sont les banques qui prêtent, garantir les prêts et accompagner les entrepreneurs dans leur démarche.» L'expert plaide pour la mise en place d'un système public de garantie des prêts accordés au secteur privé.

Fini l'assistanat

Fin du premier round. Comment initier un développement inclusif au Gabon, qui ne laisse personne au bord de la route? Les interrogations du public sur les solutions concrètes, répétées, montrent que la solution n'est pas évidente.

Diversifier les entreprises ? On y est déjà», affirme Yves-Fernand Manfoumbi, coordonnateur général du bureau du Plan Stratégique Gabon Emergent. «Avant 2009, la croissance était de 1,6%. Aujourd'hui, elle est de 5,9%. Entre ces deux dates, l'Internet mobile a percé. La moitié de la population gabonaise est équipée d'un téléphone relié au web" Il y voit la sortie d'une «économie de rente». Il se dit sûr que la fin d'une économie centrée seulement sur l'extractioin des matières premières est en voie de se réaliser.. «Le développement économique et social à travers le processus de transformation des matières premières est en marche.»

L'ancien secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie, Alain Joyandet, renchérit: «L'Afrique est devenue adulte.» Fini l'assistanat, affirme-t-il. Place aux partenariats. Le développement des PME se fera au travers de soutiens comme celui de l'Agence française de développement. «Celle-ci apporte de l'argent pour aider ceux qui ont envie de créer entreprise. Cela facilite les démarches auprès des banques. Lorsque l'entreprise prend son envol, soit on reste partenaire, soit on sort du capital», explique le sénateur français.

Pas de la philanthropie, non. «Une Afrique qui se développe, c'est une Afrique qui se stabilise. Cela veut dire un avenir meilleur pour l'Europe.» Par cette allusion, le sujet de l'immigration, en filigrane depuis le début, ressort au terme des deux heures de discussion. «Il n'est pas normal que des milliers de gens aillent se perdre dans la Méditerrannée, alors que les conditions pour vivre de manière décente sont là», lance Sylvie Dossou, sous les applaudissements.

Sur quoi, elle soulève brutalement le sujet qui fâche: «Cinquante milliards de dollars perdus chaque année parce que les entreprises font de l'évasion fiscale. Cette somme seule suffirait à créer les conditions du développement. Il faut une coopération internationale pour obliger les entreprises à payer leurs impôts.» Tout est dit.