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portrait

Main Forte, sur la route de l’emploi

José Duprez est l’un des cofondateurs de l'entreprise Main Forte qui forme des chômeurs longue durée au métier de chauffeur routier.
José Duprez (à droite) accompagné de tous ceux qui ont occupé, tour à tour, le poste de président de l'entreprise Main Forte.
par Nicole Sibille
publié le 14 octobre 2015 à 14h36
(mis à jour le 15 octobre 2015 à 11h14)

José Duprez explique tout de go qu’avant de se lancer dans l’aventure Main Forte, il y a plus de 25 ans, les questions de l’insertion professionnelle et de l’entrepreneuriat social lui étaient complètement étrangères. Cet ingénieur de carrière s’est laissé convaincre, avec Michel Derville, de «prêter main forte» à des demandeurs d’emploi déterminés à s’en sortir.

Nous sommes alors à la fin des années 1980 dans le bassin minier de Lens, durement touché par le chômage. En partenariat avec ces demandeurs d'emploi et des personnes issues du monde de l'entreprise, José Duprez cofonde Récup'Tri en 1990. L'idée est de réinsérer les chômeurs longue durée via la collecte et le tri du verre, un matériau qui, à l'époque, avait une valeur à la revente. «C'était la rencontre de deux univers que tout opposait, des militants, des syndicalistes et des copains issus du monde de l'entreprise. Le mariage de la carpe et du lapin ! Mais travailler et monter ce premier projet ensemble a été d'une richesse incroyable pour tout le monde», se remémore t-il.

Pour arrondir leurs fins de mois, certains utilisent les camionnettes destinées à la collecte pour faire des petits déménagements. Mais l'association ne peut pas exercer officiellement cette activité. Pourquoi ne pas la détacher du travail associatif et en faire le cœur d'activité d'une entreprise parallèle ? C'est ainsi que la société de transport routier Main Forte a vu le jour, en 1995, tout en gardant son volet réinsertion en formant des chômeurs longue durée au métier de chauffeur. Les critères d'embauche sont simples, avoir le permis B et chercher un travail. José Duprez s'enthousiasme : «Nous avions là, sans le savoir, un créneau sensationnel. D'abord, les demandeurs d'emploi de longue durée ont souvent peur des contraintes liées à l'entreprise classique. Là, ils pouvaient garder leur liberté sur la route tout en gagnant leur vie. D'autre part, depuis la fin du service militaire obligatoire, on manquait cruellement de candidats car l'armée a longtemps été le premier formateur de chauffeurs.»

Il faut désormais trouver des fonds et surtout un moyen de financer les différents permis. José Duprez fait le tour de ses copains pour des investissements. «En fait, je leur demandais de faire des dons car l'entreprise est détenue par une association, pour éviter la tentation de revendre ses parts.» Un partenariat avec Pôle Emploi est ensuite mis en place. Entre chaque CDD, les salariés passent le permis porteur (C) ou  semi (CE). «Pour nos salariés, cela permet d'avoir des kilomètres au compteur, des expériences à faire valoir pour trouver un emploi pérenne par la suite», développe José Duprez. Main Forte a vingt-quatre mois, entrecoupés de formations routières, pour faire de ces ex-chômeurs des conducteurs aguerris.

Et c’est une affaire qui roule. En 2013, l’entreprise a réalisé près de 3 millions d’euros de chiffre d'affaires sur ses sites de Harnes et de Lille mais aussi désormais du Plessis Pâté en région parisienne. Une cinquantaine de personnes sont aujourd’hui en réinsertion professionnelle. Une quinzaine de permanents assurent à la fois l’encadrement et l’accompagnement de ces salariés ainsi que le volet commercial, pour décrocher des contrats qui les mèneront sur la route.

20 ans plus tard, l'heure est au bilan. José Duprez souligne l'utilité de ce modèle économique : «Il faut distinguer la nécessité, être en équilibre financier, de la finalité qui pour nous est la réinsertion professionnelle. Nos bénéfices, nous les réinvestissons pour nous développer et essaimer Main Forte sur tout le territoire.» Histoire de tordre le cou au stéréotype d'assistanat qui colle à la réputation de l'entrepreneuriat social, il insiste : «l'aide de l'Etat ne représente qu'environ 15% de nos recettes, le reste est assuré par notre chiffre d'affaires. L'Etat est en fait un client qui nous paie pour le service que nous rendons à la société.»