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Libération
TRIBUNE

Les Français et les libertés individuelles

D'après un sondage Viavoice de juin 2015, les Français estiment que le pays connaît «de plus en plus d’interdits, de contraintes ou de surveillances».
par François Miquet-Marty, président de l'institut Viavoice
publié le 20 octobre 2015 à 12h05
(mis à jour le 21 octobre 2015 à 10h49)

Tribune. Nos libertés individuelles seraient-elles menacées ? Après des décennies de conquête et de progrès, des débats ont prospéré concernant les risques d'atteintes aux libertés, attribués notamment à la surveillance sur Internet (affaire Snowden), à l'utilisation des données personnelles, ou encore à la loi sur le renseignement présentée par Manuel Valls.

Mais au-delà de cette part visible, quelles sont les perceptions des Français ? La vaste étude d'opinion récemment réalisée par Viavoice[1] sur le sujet révèle l'ampleur des restrictions perçues par la population. Les deux tiers des personnes interrogées (67%) estiment que la France connaît «de plus en plus d'interdits, de contraintes ou de surveillances». Et les exemples cités spontanément concernent prioritairement les règles en matière de sécurité routière (35%) et les règles et incitations en matière de consommation (tabac, alcool, alimentation) (29%), avant les écoutes et surveillances en général (25%) et la surveillance spécifiquement sur Internet (14%).

Ainsi se dessine un univers «d'interdits, de contraintes et de surveillances» jugés excessifs : près des  trois quarts (73%) des Français estiment que ces derniers sont «trop nombreux», étant massivement perçus (77%) comme des «atteintes importantes aux libertés individuelles».

Qui plus est, cette perception de libertés individuelles compromises nourrit la tentation de dissidences : près de 8 Français sur 10 (78%) estiment que ces «interdits, contraintes et surveillances donnent envie de retrouver une part de liberté», et 45% vont jusqu’à considérer que ces derniers sont «tellement importants qu’ils donnent envie de faire ce qu’on ne devrait pas».

Ce sentiment d’une inversion de l’Histoire, d’une France désormais à l’épreuve de libertés jugées en érosion, tient à deux facteurs majeurs. Le premier consiste en l’inflation normative à l’œuvre depuis les années 1970. Si chaque mesure apparaît nourrie par de justes finalités d’intérêt général, leur accumulation peut apparaître contraignante. Tocqueville trouve ici sa clairvoyance, en annonçant l’avènement d’un maillage de petites lois régentant à l’excès les existences individuelles.

Le second facteur est une nouvelle sociologie. Les Français les plus sensibles à l’excès d’atteintes aux libertés sont plus volontiers des personnes modestes, membres d’une «France d’en bas» déplorant l’excès et l’impertinence des mesures de la «France d’en haut».

Ainsi paradoxalement, ce récit de libertés perdues ne procède pas de pratiques ouvertement liberticides. Il est plus fondamentalement le fruit d’une accumulation de normes, et d’une France clivée. Des libertés tenues pour menacées dans le respect formel des libertés.


[1] Les Français et les libertés individuelles. Sondage réalisé par Viavoice en partenariat avec La Revue Civique, publié par L'Express et diffusé par Radio Classique. Interviews effectuées en ligne du 28 mai au 2 juin 2015. Échantillon de 2 002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Représentativité par la méthode des quotas.