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Libertés Chéries

Qui va surveiller les surveillants ?

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Internet, un espace balloté entre des mesures de surveillance renforcées et les libertés que tente d’instaurer le projet de loi République numérique. Alors tous épiés ?
Les intervenants du débat "Tous épiés" le 7 novembre à la Gaîté lyrique. (Laurent Troude)
publié le 7 novembre 2015 à 21h21

Récit. Loi de programmation militaire, loi sur la géolocalisation, loi sur le renseignement et enfin la loi sur la surveillance des communications internationales. Quatre lois en quelques mois, quatre débats. Et toujours cette question, dont l'affaire Snowden a montré la pertinence : comment concilier liberté et lutte contre le terrorisme ?

Sur l'estrade, un consensus d'abord : la nécessité d'avoir un débat apaisé sur le sujet. Sortir de l'émotionnel pour mieux réfléchir. Pas toujours facile dans le contexte de menace terroriste permanente. Mais c'est à cette condition seulement que le pour et le contre seront pesés correctement. «La plus grande victoire des terroristes serait de nous faire renoncer à nos libertés», rappelle Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste qui a participé à la rédaction des différentes lois. Une avancée majeure, dit-il, même si «tout n'est pas simple» et que «c'est loin d'être parfait». Pour lui, lutte contre le terrorisme et préservation des libertés ne sont pas forcément contradictoires. Tout est une question de contrôle, dit-il. «Lutter contre le terrorisme implique de trouver des renseignements. Cela passe forcément par des atteintes à la vie privée. Dans ce contexte, il est indispensable d'avoir une instance de contrôle avec de véritables pouvoirs», explique le sénateur, se réjouissant de la mise en place récente de cette instance, la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR).

Mais comment se satisfaire d'un organe dépendant de ce qu'il est censé contraindre, à savoir l'Etat ? Pour Jeanne Sulzer, responsable juridique d'Amnesty International France, une commission de contrôle n'a de légitimité que si elle est indépendante. «Ce n'est pas le cas ici», dit-elle. On tourne en rond.  

Alors qu'aux Etats-Unis certaines voix remettent en question l'efficacité du Patriot Act, elle revient sur les origines de la loi, voté dans l'urgence. Sans réel débat citoyen selon elle. «Les lois sur le renseignement comme la loi sur la surveillance internationale sont passés selon des procédure accélérées. Ils sont passés presque en catimini sans que la société civile ait pu en débattre. Or ils touchent des notions importantes comme la vie privée et la liberté d'expression», rappelle-t-elle. «Il n'y est pas seulement question de lutte contre le terrorisme, mais aussi, d'espionnage industriel, de promotion diplomatique et de surveillance des mouvement sociaux.» Et puis il y a cette loi sur la surveillance des communications internationales, pour laquelle la commission de contrôle n'a aucun pouvoir, en mentionnant les milliards de milliards de métadonnées qui traversent les océans et sont scannées par les Etats sans contrôle.

Ancien patron des renseignements, Alain Juillet resté jusqu'alors silencieux, recentre le débat. Polémique, il lance : «Seriez-vous vous prêt à prendre la responsabilité de nouveaux morts dans un attentat ?» Silence. Il développe. «Nous aliénons chaque jour notre liberté, pour des raisons pratiques, en nous géolocalisant avec notre smartphone, parfaitement conscients que ces informations sont stockées et/ou vendues. Google, Apple, Facebook et Amazon, les fameux Gafa, savent tout de nous. Et on l'accepte ! Et de l'autre côté, on demande à l'Etat d'assurer notre sécurité maximale, sans rien vouloir lâcher». Silence toujours. «Le renseignement ne touche pas seulement à la sécurité. Il touche à l'économie. En matière d'intelligence économique les Américains, les Russes ou les Chinois ne nous font pas de cadeau. A-t-on vraiment les moyens, compte tenu de notre croissance actuelle de se passer d'intelligence économique ?» 

Certes, ce n’est pas la Stasi, tout le monde n’est pas surveillé. Mais il n’en demeure pas mois une surveillance massive, prévient Félix Treguer, cofondateur de la Quadrature du Net, en mentionnant les milliards de milliards de meta-données qui traversent les océans et sont scannées par les Etats sans contrôle, les fameuses «boites noires», qui scannent à la volée les communications des Français, ou la règle imposée depuis les attentats à Madrid ou Londres aux opérateurs et hébergeurs de retenir pendant 12 mois toutes les connections de leurs utilisateurs.

Jean-Pierre Sueur rassure son auditoire : «En France, on ne pratique pas la pêche au chalut, comme le font les Etats-Unis. On harponne. Autrement dit, on cible l'information, parce que tout prendre est attentatoire à la liberté». Reste à définir la cible et le périmètre de surveillance qui l'entoure. Doit-on vraiment s'émouvoir si à la marge la surveillance touche des personnes extérieures au dossier parce que la cible était en contact, simplement par hasard, avec eux ?

Quelle que soit la réponse à cette question elle devra s’accompagner d’un contrôle accru de la loi. Voilà qui est dit.