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Faut-il avoir peur des objets connectés ?

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Thermomètres, tensiomètres, bracelets, montres, balances, fourchettes, brosses-à-dents… Les objets connectés se multiplient autour de nous. Comment faire le tri ? C’était l’objet du deuxième débat du forum «Mon Corps connecté», qui se tenait samedi à Grenoble.
Philippe Cinquin (de dr. à g.), Guillaume Marchand et Eric Sebban participaient au débat "Un monde d'objets". (Pablo Chignard / Hanslucas)
publié le 30 novembre 2015 à 14h10

Quel propriétaire de smartphone ne s’est jamais amusé à compter le nombre de pas effectués dans sa journée, ou la qualité de son sommeil ? Qui n’a jamais eu envie d’essayer la fourchette connectée, dont les capteurs mesurent chaque aller et retour entre l’assiette et la bouche. Et que dire de la balance intelligente, tançant son utilisateur en cas d’écart trop important.

Ludiques, ces objets permettent de prendre conscience de notre corps, et de prévenir contre une mauvaise alimentation ou une vie trop sédentaire. Mais ne leur demandons pas trop. Pour le moment, la plupart de ces objets sont de simples gadgets. Seuls 20% des objets connectés de santé et de bien-être seraient pertinents, selon les médecins interrogés par Guillaume Marchand. Ce médecin psychiatre au CHU de Rouen a co-fondé dmd Santé, une entreprise évaluant les applications, objets connectés et autres technologies visant le secteur de la santé. «Il n'existe pour le moment ni vérification, ni certification, ni labellisation des objets médicaux», explique-t-il. Or, ce qui apparaît sans grande conséquence lorsqu'on est en bonne santé et que l'on cherche seulement à comparer ses performances en running, apparaît nettement plus problématique lorsque l'objet prétend mesurer et réguler le rythme cardiaque d'un insuffisant ou le taux de glycémie d'un diabétique.

«Si un objet connecté prétend livrer une prestation d'ordre médical, il doit faire partie des dispositifs médicaux et doit être validé cliniquement, comme lorsqu'un laboratoire entend apporter une nouvelle molécule sur le marché», confirme Philippe Cinquin, docteur en médecine et mathématiques appliquées et pionnier de l'informatique médical. Il doit subir les mêmes contrôles auprès des autorités compétentes avant leur mise sur le marché, être prescrits par un médecin, être achetés en pharmacie. Et dès lors donner droit à un remboursement.

Le patient a tout à y gagner, assure le directeur de laboratoire. Les objets connectés de santé peuvent déjà informer le patient d'un problème, avant que ce dernier s'en aperçoive. Au besoin il peut alerter son médecin et sa famille. Demain, la prise de traitement sera contrôlée par des capteurs situés dans le corps. Les patients ayant un doute, mais aussi leur entourage et le personnel soignant, pourront vérifier la prise de médicament sur un «device» extérieur : tablette, smartphone, etc. «Rien que ça, c'est 35 milliards d'économies pour la Sécurité sociale, à l'horizon 2035», avance Eric Sebban, fondateur de Visiomed, un fabriquant d'objet connecté de santé. A condition de former les gens à l'utilisation de ces objets connectés de santé, «pas toujours très intuitifs», précise Guillaume Marchand.

Au final, c'est notre système de santé qui pourrait être transformé. Si le médecin généraliste recevait les informations en amont, déjà mis en forme, sous forme de graphes ou de statistiques, il pourrait consacrer plus de temps au patient lui-même. «La relation serait améliorée», poursuit Eric Sabban. Idem pour les hôpitaux : si après une opération, le patient était suivi chez lui électroniquement quotidiennement, grâce à un système de questions-réponse, le personnel hospitalier serait en mesure d'identifier plus rapidement les anomalies et de mieux gérer ces cas précis. Cela permettrait de raccourcir le séjour en hôpital et aux patients de revenir plus vite chez eux, tout en affinant le suivi. «Des choses très intéressantes sont en train de se faire, mais c'est lent car le dispositif de santé est complexe et morcelé. Le frein ici n'est pas technologique mais organisationnel», indique Philippe Cinquin, qui se veut rassurant.

Certes, nous nous dirigeons vers une médecine plus virtuelle. Mais cette intelligence artificielle n'a pas vocation à remplacer le professionnel de la santé, ou à le transformer en infirmière exécutante. Elle lui permettra au contraire de dépasser ses limites, dit-il. «L'enjeu, c'est de partir de ce qui est imparfait pour l'améliorer. Pas l'inverse.»