Le modèle social français – qu'il s'agisse du système de protection sociale ou du droit du travail – est de plus en plus mis sous pression : l'injonction à la compétitivité et au benchmarking permanent (les pays « modèles » qui font prétendument mieux devraient être imités) sert d'argument pour remettre en question les protections que nous avons mis plus d'un siècle à établir et qui ont permis de civiliser le travail.
Deux scénarios sont actuellement en vogue s'agissant de l'avenir du travail. Le scénario du démantèlement des protections, que prônait déjà l'OCDE dans les années 1990, et qui consiste à réduire considérablement les règles qui organisent le travail (notamment le salaire minimum et la rupture du contrat) pour permettre aux pays de s'adapter à la concurrence internationale, promeut le moins-disant social et entraîne l'Europe dans une spirale de déqualification et de précarisation contradictoire avec la volonté affichée en 2000 de devenir la région du monde la plus qualifiée. Le scénario de la révolution technologique suppose la disparition de nombreux emplois, un changement de nature du travail et une adaptation radicale des modes d'organisation du travail, voire une sortie du salariat. Ce deuxième scénario qui voit dans la révolution technologique le déclencheur de la prochaine vague de croissance et dans « l'investissement dans le capital humain » la solution à nos maux, s'accommode donc parfaitement d'une réduction des protections du travail.
La focalisation sur la réforme du marché du travail, bien illustrée aujourd’hui par la loi El Khomri, fait fi des résultats des études sur les liens entre chômage et protection de l’emploi (voir la dernière étude de l’OIT qui met en évidence qu’une réduction de celle-ci conduit à une baisse du taux d’emploi et une augmentation du taux de chômage), prend le risque d’accélérer la dégradation des conditions de travail, pourtant déjà inquiétante en France et laisse dans l’ombre les véritables causes du chômage : manque d’activité, mauvais positionnement des produits français, modération salariale allemande, exigences européennes sur le rythme de réduction du déficit budgétaire.
Ce sont ces causes qu’il nous faut considérer pour mettre en œuvre les bonnes politiques. Aucun des deux scénarios considérés ne met en son cœur l’obligation absolue dans laquelle nous nous trouvons d’engager nos sociétés dans la reconversion écologique, qui pourrait constituer une opportunité de choix pour l’Europe de relancer l’activité de manière coordonnée. Un programme européen, promu par certains Etats-membres désireux de mettre en œuvre des politiques fiscales, budgétaires et sociales coordonnées, visant à rebâtir entièrement notre système énergétique et productif et capable d’assurer une «transition juste», serait sans doute de nature à nous permettre collectivement de renouer avec l’ambition du plein emploi, de changer le travail et de déployer un modèle social de haute qualité.
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