A qui appartient Internet ? Comment les Etats, entreprises et citoyens peuvent protéger leur intégrité sur les réseaux et reprendre la main sur leurs données, aujourd’hui trustées par Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) ? Telles sont les questions abordées lors de ce premier débat, qui s’est tenu samedi matin à la Cité des objets connectés d’Angers, face à une salle de trois cents personnes.
Député du Maine-et-Loire et rapporteur du projet de loi pour une République Numérique, Luc Belot rappelle l’enjeu pour ouvrir le débat : «La France a très largement loupé la première et la seconde vague du numérique, avec les réseaux sociaux et le e-commerce. Elle ne doit pas passer à côté de la troisième vague, celle des objets connectés et des Big Data.» Tous se l’accordent. Le problème est de trouver le modèle, indique Nicolas Colin, co-fondateur de la société d'investissement parisienne The Family, qui compare l’arrivée du numérique dans notre économie à l’organisation scientifique du travail dans les usines automobiles américaines, au début du XXe siècle, avec cette mise au point : «au départ, le fordisme a entraîné des problèmes, avec des ouvriers peu considérés, pas très bien traités. Après une période de flottement, cela s’est apaisé, grâce aux syndicats, dans les années 1950-1960. Des systèmes de protection sociale ont été mis en place. Les travailleurs et leur famille ont commencé à être mieux protégés. Cela a installé un équilibre qui a permis à ce système de se développer.» Avec le numérique, nous en sommes à ce moment de transition. Et dans ce contexte, le discours critique obscurcit le raisonnement et entrave les efforts de tous ceux qui veulent tirer parti de la transition numérique. «Heureusement, les pouvoirs commencent à comprendre les enjeux», ajoute Nicolas Colin, optimiste.
Comment protéger nos données personnelles ?
La transition numérique du groupe La Poste, à travers son coffre-fort numérique, son Hub numérique, ou encore sa Charte Data, est une illustration de cette prise de conscience.
Philippe Wahl, Président du groupe, le rappelle : «Nous abandonnons nos données aux géants américains, sans vraiment avoir conscience des conséquences. Cela a pourtant des implications géopolitiques, on l’a vu avec le scandale de la NSA. Mais aussi en matière de sécurité dans un contexte de lutte contre le terrorisme, et enfin cela soulève les questions de souveraineté personnelle», explique le dirigeant, qui rappelle le rôle de «tiers de confiance» qu’endosse son entreprise. «La Poste entre dans son sixième siècle d’existence, elle a eu le temps de faire ses preuves. Nous sommes neutres, nous respectons la confidentialité (les facteurs n’ouvrent pas vos lettres) et nous serons encore là dans plusieurs dizaines d’années lorsque les classeurs dans lesquels vous rangez vos fiches de salaires auront été remplacés par un coffre-fort numérique. Nous avons une réelle légitimité pour aider les citoyens à gérer leur vie numérique.» Et cela même si le cadre juridique en Europe en la matière est déjà très protecteur. Pour se distinguer, les entreprises devront se discipliner elles-mêmes. «Ne soyons pas les Oui-Oui du numérique. Les enjeux sont considérables. Mais pour en tirer profit, il faut des règles», dit-il.
« C’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit», confirme le maire d’Angers, Christophe Béchu, en citant Henri Lacordaire. La preuve ? «On peut deviner qu’une femme est enceinte, avant même qu’elle le sache, en analysant le contenu de son caddie au supermarché et en observant une augmentation de sa consommation de produits sucrés», dit-il. Une analyse similaire permettrait de prédire les risques des consommateurs de développer un cancer du côlon, ajoute le fondateur de Skyrock et spécialiste des questions de souveraineté numérique, Pierre Bellanger. «Toutes les données sont des données de santé, à partir du moment où elles sont corrélées», met en garde l’expert. Alors comment réguler ? Il faut considérer les données comme un bien commun. On limitera ainsi les dérives personnelles éventuelles par l’intérêt général et on créera un cadre plus protecteur, dit-il en substance. Et cela, sans restreindre les initiatives. Car les données sont utiles rappelle Nicolas Colin, en particulier les données de santé, «ne soyons pas prisonniers de l’opposition entre sécurité et accessibilité, car lorsqu’il est question de vie ou de mort, le débat passe vite au second plan !».