Uber, Dropbox, Airbnb, Snapchat, Spotify… et désormais Blablacar. En septembre 2015, la start-up a rejoint le club très fermé des «licornes», ces entreprises de moins de dix ans non cotées en Bourse, dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Le leader du co-voiturage a pris du galon en bénéficiant d'un investissement de 200 millions de dollars. Le Français pèserait désormais 1,6 milliard de dollars. Mais il est bien le seul. Selon, CBInsights sur les 153 licornes que compte la planète, seize seulement sont européennes (cinq en Allemagne, cinq au Royaume-Uni, deux en Suède, et une en France, une aux Pays-Bas, une en Ecosse, une au Luxembourg et une en Suisse). Pourquoi si peu ? L'Europe est-elle incapable d'accompagner l'émergence de champions du numérique ?
Des investisseurs frileux
Bernard Benhamou, secrétaire général de l'Institut de la Souveraineté Numérique, tente une première réponse. Le problème viendrait de la structure des capital-risqueurs. L'Europe n'a pas de fonds de pension. Les investisseurs ne sont pas aussi importants qu'aux Etats-Unis. Ceux qui existent ne sont pas prêts à prendre autant de risques. Si Blablacar s'est distinguée dans ce contexte, «c'est parce que l'entreprise s'est développée sur un angle-mort», explique l'expert. «Aux Etats-Unis, personne ne voyait la nécessité de faire du co-voiturage car le pétrole est bon marché. Mais ailleurs en Europe, en Amérique du sud et en Asie, l'intérêt est immense, surtout en période de crise.» Blablacar s'est donc créée au bon moment et aux bons endroits.
Certes, il y a la Banque européenne d'investissement. Le plan Juncker a permis à Eric Leandri de bénéficier d'un prêt de 25 millions d'euros pour lancer son moteur de recherche Qwant. «Nous avons été les premiers à bénéficier de cette aide et nous en sommes très heureux mais des fonds privés devraient être capables d'abonder au même niveau» souligne l'entrepreneur.
D’abord ils vous ignorent, ensuite ils se moquent de vous, après ils vous combattent et enfin, vous gagnez
Rafi Haladjian, a la tête de Sen.se, sa dix-septième entreprise, regrette «la vision un peu négative» de ses contradicteurs. «On apprend à faire avec ce contexte», dit-il. Son expérience va pourtant dans le même sens : «Quand j'ai démarré, mon projet faisait rire les investisseurs. Je suis allé à Bercy pour évoquer l'opportunité des objets connectés, on m'a suggèré de laisser tout ça aux Chinois. Je ne peux aujourd'hui m'empêcher de penser à Ghandi à qui l'on prête la phrase suivante :«D'abord ils vous ignorent, ensuite ils se moquent de vous, après ils vous combattent et enfin, vous gagnez.» »
Changer les mentalités
Alors comment favoriser la création de licornes ? D'abord en changeant les esprits, explique Bernard Benhamou. «L'idée qu'une start-up qui se fait acheter est une bonne chose est entrée dans les mœurs, même les ministres s'en réjouissent. Mais quand Withings est reprise par Nokia, l'entreprise ne sort pas seulement de France, elle est cannibalisée. Elle est annihilée dans son développement. Et on se prive de tout un écosystème : sous-traitants, emplois, taxes mais aussi respect de certaines valeurs», ajoute le fondateur du portail de services mobiles Proxima Mobile, qui rêve d'un CTO de l'Etat. Une sorte de chef d'orchestre du numérique, avec une vision stratégique à long terme, «comme aux Etats-Unis», dit-il, déplorant l'absence d'un Al Gore européen. Il faut saluer l'initiative French Tech, souligne Eric Leandri, même si une European Tech aurait eu plus de sens, «elle aurait permis le brassage des cultures et favorisé l'innovation.»