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Big business

Le canal de Panamá voit plus large

Neuf ans de travaux, de multiples déboires, un budget de près de 9 milliards de dollars et 30 000 ouvriers. Ce dimanche est inaugurée la troisième voie du canal de Panamá.

La nouvelle voie de navigation permettra à des porte-conteneurs larges de 49 mètres et longs et 366 mètres de naviguer. / AFP PHOTO / RODRIGO ARANGUA (AFP)
Par
Jordan Muzyczka
Publié le 26/06/2016 à 11h51

Sa capacité de trafic va être multipliée par trois. Agrandi et approfondi, le canal de Panamá, vieux de 102 ans, inaugure une troisième voie maritime ce dimanche. Si, auparavant, seuls des navires de 5000 conteneurs pouvaient s’y déplacer, aujourd’hui, des géants des mers d’une capacité de 14 000 pourront y circuler.

Crise industrielle et économies obligent, les compagnies maritimes mettent en commun leurs ressources et utilisent des navires toujours plus grands, toujours plus chargés. Le canal pourra accueillir des navires larges de 49 mètres et longs et 366 mètres. Grands bénéficiaires de l'opération, les Etats-Unis et l'Asie, qui verront les coûts de transport des marchandises entre eux se réduire. Les Américains y ont transporté 162 millions de tonnes l'an passé, la Chine 48 millions. Le Chili (29 millions) et le Japon (22 millions) complètent le classement. Aujourd'hui, notent Les Echos, 8% du commerce maritime mondial transite par cette voie navigable artificielle.

Le canal gère environ un tiers des échanges de marchandises de l’Asie en direction de l’Amérique. C’est d’ailleurs l’armateur chinois Cosco qui a été choisi, par tirage au sort, pour inaugurer les 80 kilomètres de la nouvelle voie de navigation.

Le vice-président au développement des affaires du canal de Panamá, Oscar Bazan, prévoit une augmentation de 16 à 17% du chiffre d'affaires l'an prochain, rapporte le Wall Street Journal. D'ici quatre ans, il est prévu que cette extension permette de faire circuler 10% des marchandises américaine de la côte ouest à la côte est. D'ici dix ans, l'objectif est de doubler le volume de transit, environ 340 millions de tonnes en 2015, et ses recettes, un milliard de dollars actuellement.

Conséquence, les infrastructures portuaires s'adaptent. Un rapport de L'Association américaine des autorités portuaires (AAAP) montre que près de 155 milliards de dollars seront investis d'ici 2020 pour développer les ports américains pour traiter de plus gros navires. L'agrandissement du canal de Panamá va «inciter l'industrie à créer encore plus d'entreprises dans le secteur concerné» explique au Wall Street Journal Joel Sutherland, directeur à l'institut de management à l'Université de San Diego, en Californie. Ainsi, pour Trey Pennington, courtier dans l'immobilier industriel à Greenville, à environ 300 kilomètres du port de Charleston, en Caroline du Sud, «Le canal de Panamá va changer fondamentalement la dynamique économique de la Caroline du Sud dans les années à venir

Montrer le «vrai visage» du Panamá

L'inauguration tombe à pic pour l'Etat panaméen, deux mois après le scandale des Panama Papers – plus de 11,5 millions de documents confidentiels d'évasion fiscale et/ou de blanchiment d'argent avaient été révélés en avril dernier, issus du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca. «Nous montrons au monde le vrai visage du Panamá et cela doit avoir un effet positif sur l'image du pays face à ces adversités que nous traversons», a souligné, dans un entretien à l'AFP, l'administrateur du canal, Jorge Quijano. Côté recettes, «avec le canal élargi, les recettes du Trésor vont augmenter, ce qui bénéficiera aussi aux autres secteurs d'activité» du pays, s'est réjoui Nicolas Ardito Barletta, ex-président panaméen et ancien vice-président de la Banque mondiale en Amérique latine. Selon lui, le canal, ainsi que d'autres activités logistiques et bancaires annexes, apportent 45% du PIB du pays.

Une enquête du New York Times détaille les conflits sociaux et financiers qui ont miné le chantier. Prévu pour 2014, il a accumulé les retards et dépassé son budget initial, grimpant de 5,25 à 8,65 milliards de dollars. Le consortium engagé, comprenant les groupes espagnols Sacyr, italien Salini Impregilio, belge Jan de Nul et panaméen Constructora Urbana, n'avait pas hésité à geler les travaux pour réclamer un budget supplémentaire. Des grèves d'ouvriers et des fissures apparues dans l'une des nouvelles écluses ont ralenti le projet. Huit ouvriers périront dans la construction, rappelle le Los Angeles Times.

Concurrence avec l’Egypte

Toutefois, sur le plan commercial, prudence est de mise. Une taille accrue des navires ne signifie pas nécessairement d’avantage de fret. Bien que les flux transitant par le canal de Panama ont augmenté de 3,7% en 2015 contre une hausse de moins de 1% en 2014, l’augmentation des volumes de transport de marchandise a lui, ralenti à moins de 1% environ en 2015 et de 7% en 2014.

La raison est peut-être à chercher du côté de l'Egypte et du canal de Suez, qui rallie la mer Rouge à la mer Méditerranée. En août dernier, le canal égyptien inaugurait la création d'une seconde voie maritime. En 2015, 7,5% du commerce maritime mondial naviguait dans ses eaux. Le canal du Moyen-Orient s'est lancé dans une compétition avec son rival caribéen, analyse le magazine The Journal of Commerce. Des réductions de taxes de douanes de 30 à 65% entre la côte est des Etats-Unis et l'Asie sont ainsi proposés. «C'est une action des prix visant directement à concurrencer de façon efficace l'élargissement du canal de Panama», déclarait en février dernier dans ce même magazine le directeur général du groupe d'analyse SeaIntelligence Consulting, Lars Jensen.