Les Trente Glorieuses sont définitivement mortes et enterrées. Travailler toute sa vie en CDI dans une seule entreprise, c'est fini. Les mutations technologiques et sociétales actuelles obligent à repenser nos manières d'envisager l'emploi. Pour Misoo Yoo, directrice générale adjointe en charge de l'offre de services chez Pôle Emploi, «si le CDI reste le modèle dominant avec 61 % des emplois, 9 recrutements sur 10 se font en contrats courts». Pour autant, faut-il se résigner aux «petits boulots» mal payés ? «Non !» Répond François Rebsamen, maire de Dijon et ancien ministre du travail : «on parle d'ubérisation générale. Mais il existe beaucoup d'entreprises qui ne licencient pas et où les salariés bénéficient de formations. Je suis optimiste, à condition que le dialogue social perdure», rappel à peine déguisé à la récente loi travail et son cortège de manifestations hostiles.
Reste qu’une nouvelle race de travailleurs est apparue récemment : les slashers (terme qui vient du slash / des claviers d’ordinateur). Souvent jeunes, ils cumulent plusieurs jobs pour s’en sortir.
De la montgolfière au sablier
Si certains vivent cette situation de manière positive, la majorité la subit. «Ce sont en grande partie des auto entrepreneurs à faible revenus qui cherchent d'autres activités. Uber, par exemple, donne de l'emploi à des jeunes de banlieue sans formation, mais de mauvaise qualité : 70 heures par semaine et très peu de protection sociale» rappelle Dominique Méda, philosophe et sociologue.
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Selon le député PS de l'Ardèche Pascal Terrasse, «nous sommes à la fin d'un monde et à l'aube d'un autre à venir. D'après l'OCDE, la moitié de l'activité des salariés de l'industrie est automatisable. Nous allons passer d'une société de la montgolfière, avec une minorité de riches et de pauvres et une grosse classe moyenne au milieu, à celle du sablier, avec une classe moyenne réduite». Le coupable : la désintermédiation due aux technologies numériques et l'essor des plateformes comme Uber ou AirBnB.
L'économiste Pierre Cahuc est plus mesuré. Pour lui, la société a toujours changé : «à la fin des années 30, la productivité a été multipliée par 6. Demain, nous pourrions avoir des emplois de services sophistiqués avec des revenus élevés, à condition d'avoir des compétences adéquates».
Vers un troisième statut ?
Dominique Meda tempère également les annonces alarmistes de destruction massive des emplois : «à partir de 2011, des études américaines annonçaient que 47 % des emplois allaient disparaître dans les dix ans. Or, il faut faire attention, d'autres études disent autre chose, dont une récente venue d'Allemagne qui évoque plutôt 9 %. En réalité, on ne sait rien, tout cela est confus».
Vidéo «Repenser l'emploi ?»
Face à ces bouleversements annoncés, faut-il créer un troisième statut de l'emploi, entre salariés protégés et free lance précaires à l'anglo-saxonne ? «Il existe des zones grises à la lisère de l'indépendant et du salarié» explique Pascal Terrasse, pour qui «la question sera posée un jour ou l'autre». D'autres solutions, comme le revenu universel et donc la question de la redistribution du travail, doivent être étudiées, ainsi que l'émergence de l'économie collaborative. Chercheurs et politiques, qui eux ont tous un emploi, ont donc du travail sur les bras.