Marie Demestre est enseignante de français à l’association Thot (1). Elle donne des cours à des migrants et réfugiés politiques avec cinq autres professeurs. L’objectif, leur faire acquérir les diplômes Delf A1 (l’apprenant peut parler de lui et de son environnement immédiat) et A2 (être capable de réaliser des tâches simples de la vie quotidienne), diplômes certifiant qu’ils parlent français.
Chaque session dure quatre mois. Quatre-vingt étudiants ont participé à la dernière. Logés à l’Alliance française, il s’agissait pour l’essentiel de Soudanais et Afghans, quelques Erythréens et Ethiopiens, et même un Tibétain.
«La difficulté majeure, c'est de laisser le pathos à l'extérieur de la classe, note Marie Demestre. Il s'agit d'abandonner les éléments personnels, et d'introduire de la joie de vivre.» Elle explique que lorsqu'elle leur fait manier les notions comme «je veux, j'ai besoin, je peux», réfugiés et migrants évoquent leur mère morte au pays ou un frère dont ils n'ont plus de nouvelles.
Thot dispose d'un pôle psychologique, artistique et juridique. «L'un de nos professeurs a affaire à des gens qui n'ont jamais tenu un stylo de leur vie en main, ou qui n'ont jamais été alphabétisés», commente ainsi Marie Demestre . Elle les trouve «très forts», précise que tous ont obtenu leurs diplômes. Et explique leur ténacité «dans l'urgence». «Ils ont besoin de survivre. Le langage devient un moyen d'expression. Ils ont des capacités énormes : pour eux, travailler un cours de français, ce n'est rien.»
La plupart des migrants et réfugiés ont entre 18 et 36 ans, 99 % d'entre eux ne détiennent pas le bac. Marie Demestre souligne qu'elle fait «attention à la sémantique». «Les "réfugiés", cela ne veut rien dire. On n'a que des individus en face de nous, ils ont des rêves, des objectifs, ce ne sont pas des gens qui viennent - comme certains l'affirment "nous piquer quoi que ce soit". Ils sont comme nous, mais ils sont dans la détresse.»
Une écoute que l'on retrouve rarement. «Pôle Emploi leur raconte n'importe quoi, et ils n'y sont pas bien traités», reprend Marie Demestre qui ajoute que, dehors, ils sont souvent mal accueillis par des gens qui «partent en courant quand ils leur parlent, effrayés par leur style vestimentaire».
En attendant de reprendre ses cours, Marie Demestre travaille à sa thèse de doctorat qui porte sur «la spiritualité politique et la révolte». Un peu dans l'esprit d'Albert Camus. Tout un programme.