Jeudi 8 décembre, Libération organise «Migrants, la solidarité au travail», une soirée de débat sur le défi de l'intégration, à laquelle participera Nancy L. Green. Inscrivez-vous ici pour y assister.
Étudier l’histoire des migrations rend tantôt optimiste, tantôt pessimiste. C’est désespérant : la xénophobie se répète depuis deux siècles. De manière récurrente, on se méfie de ceux qui viennent d’arriver, effarés qu’ils ne s’intégreraient jamais. Qu’ils soient catholiques ou juifs autrefois ou musulmans aujourd’hui, on jure qu’ils sont par trop différents. Les Italiens ne pratiquaient pas assez ; les Polonais étaient trop attachés à leurs propres prêtres (qu’ils insistaient à importer). On massacrait des Italiens (à Aigues Mortes en 1893), on chassait des Polonais de la France (pendant la Grande crise). On déportait les Juifs pendant la guerre ; l’antisémitisme ne distinguait pas entre pratiquants et laïques – tous inassimilables, les théories racistes soi-disant scientifiques à l’appui.
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Les différences font peur. Or, quand l’État n’est pas lui-même xénophobe (lois de protection du travail des années 1930, puis la Guerre elle-même), il s’en mêle pour encourager l’intégration, offrant cours de langue ou de savoir-faire, voulant franciser jusqu’aux noms, jusqu’aux esprits. L’histoire du droit d’asile montre les aides et les subsides que l’État a pu mettre en place (réfugiés polonais après 1830). Et quand les bras manquent, il a aidé aux recrutements et aux logements (quoique la qualité pouvait s’avérer minimaliste …). Quand il veut, l’Etat peut. Et l’intégration se met en marche. Qui aurait pensé dans les années 1950 que des enfants d’Algériens, de Marocains ou de Tunisiens allaient devenir ministres délégués ou secrétaires d’état un demi-siècle plus tard ?
Les autres
Outre des interventions directes de l’État, historiquement, c’est l’école, le travail, et le temps qui transforment les étrangers en Français – certes, les périodes prospères aident. La leçon d’optimisme est donc que, historiquement, l’intégration (n’)est (qu’)une question de temps. Les anciens honnis sont, plus tard, érigés en modèles d’intégration face aux autres. Ces autres qui arrivent avec leurs nouvelles mœurs étranges et douteuses, permettant une promotion à ceux qui les ont précédés. Le langage se répète, construisant une opposition renouvelée entre les «bons» anciens (voir le discours sur «nos chibanis») et les nouveaux censés inassimilables … jusqu’à ce que les nouveaux deviennent les anciens à leur tour.
Comme l’a dit l’universitaire américain John Higham, historien de la xénophobie (religieuse, politique et culturelle) aux États-Unis, les périodes xénophobes sont le reflet de manque de confiance de la société d’accueil elle-même. En périodes de confiance, la xénophobie baisse, l’intégration marche. L’intégration des autres nécessite aussi un travail sur soi.