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Libération
Tribune de Nathalie Dorfliger

Recycler l’eau pour alimenter les nappes souterraines

Événementsdossier
Comment progresse la recherche sur la réutilisation des eaux usées ?
(© cc)
par Nathalie Dorfliger, directrice eau et environnement au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières)
publié le 9 janvier 2017 à 12h26

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Dans le contexte du changement climatique actuel, on anticipe une potentielle baisse de la recharge des nappes, pouvant atteindre 50% dans les cas les plus défavorables en France. De plus, les ressources en eau souterraine varient d’une année à l’autre, d’une saison à l’autre en fonction de la pluviométrie. La gestion active de cette ressource est ainsi un levier pour mieux concilier l’offre et la demande en dépit des aléas saisonniers ou climatiques.

Un type majeur de gestion avancée de la ressource est la recharge artificielle des nappes, qui est une pratique visant à augmenter les volumes d’eau souterraine disponibles en favorisant, par des moyens artificiels, son cheminement jusqu’à l’aquifère. Le but premier est le soutien aux nappes souterraines surexploitées, notamment celles qui sont sensibles aux intrusions salines. Un aquifère peut ainsi être réalimenté à partir de deux types d’eau : les eaux de surface issues des cours d’eau et les eaux usées traitées.

Les dispositifs actuellement actifs en France emploient des eaux de surface, notamment en raison de la disponibilité de cette ressource et de sa qualité. Elles peuvent être employées par infiltration, injection indirecte et injection directe. On peut dénombrer une vingtaine de sites en activité dans le pays, comme celui de Croissy et Aubergenville (Yvelines) pour la réalimentation des champs captants de la banlieue ouest de Paris.

Le deuxième type d’eau utilisé est l’eau usée traitée, permettant une forme de recyclage. Il s’agit en effet d’une ressource alternative, disponible tout au long de l’année, et plus particulièrement en période sèche. Ces pratiques de recyclage peuvent s’appliquer par infiltration directe dans l’aquifère (cas de l’Australie par exemple) ou infiltration indirecte avec un passage par le sol. Appliquée dans certains pays (essentiellement autour du Bassin méditerranéen, en Australie et aux Etats-Unis), la réutilisation d’eau traitée n’est actuellement pas autorisée en France pour des finalités de recharge artificielle des aquifères, sauf en cas d’arrêté préfectoral spécifique. En 2016, l’Anses a rappelé que ce type de dispositif doit être bien contrôlé afin de maîtriser les risques sanitaires liés à la présence de différents contaminants dans les eaux de recharge. La réutilisation d’eaux usées traitées est déjà appliquée pour l’arrosage et l’irrigation, en prenant en compte certaines recommandations techniques.

Reuse, quels nouveaux procédés ? 

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) mène de nombreuses recherches sur le rôle épurateur du sol dans le cas d'une infiltration indirecte. Il s'agit d'une part de mieux comprendre le devenir et les processus de transport de polluants afin de garantir la protection des ressources en eau. En parallèle de simulations numériques, un réacteur pilote a été construit en partenariat avec Veolia: de l'eau issue d'une station d'épuration était ainsi injectée dans une colonne de sol de 23 m³ pour étudier les processus d'abattement des composés azotés et des contaminants observés au cours de l'expérimentation. Mais des questions se posent encore sur les polluants émergents, ces molécules non réglementées (issues par exemple des pesticides ou des produits pharmaceutiques), qui ont un comportement complexe dans le milieu naturel. Le BRGM progresse à ce sujet dans le cadre d'un projet européen lancé en 2015 qui vise à minimiser les risques associés aux contaminants émergents et pathogènes lors de ce recyclage des eaux usées. Des combinaisons de traitement sont ainsi en cours de test, incluant l'ozonation ou la filtration biologique active.

Comment optimiser par ailleurs l’infiltration par bassin, pour éviter par exemple les risques de colmatage ? L’ajout de certains minéraux réactifs ciblés a notamment été testé avec succès avec Veolia pour renforcer le rôle épurateur du sol. Le principe est de créer un milieu poreux pour accroître l’infiltration, avec notamment du sable, tout en développant une activité bactérienne pour renforcer l’abattement des polluants. Une expérimentation a été menée en phase pré-industrielle, avec un bassin d’infiltration de l’ordre de 200 m³, des abattements de pollution significatifs ont ainsi été observés. Le BRGM poursuit ses recherches sur les mécanismes de transfert dans le sol, notamment dans le cadre du projet européen H2020 Aquanes. Ce projet vise à combiner des procédés de traitement naturel, comme la recharge artificielle ou le lagunage, avec des procédés de traitement industriels. Un site de démonstration français est notamment en cours d’étude, dans la Manche.