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Interview

Thierry Salomon : «Le mariage intelligent de l’électron et de la molécule»

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Pour Thierry Salomon, de l’association Négawatt, la transition énergétique passe par le couplage de l’électricité et du gaz… 100 % renouvelables.
publié le 21 septembre 2017 à 18h26

Ingénieur et énergéticien, Thierry Salomon est cofondateur et vice-président de l'association Négawatt, qui prône une transition énergétique basée sur le triptyque «sobriété, efficacité, renouvelables».

Le gaz fossile est-il «propre» ?

Non, mais c'est un moindre mal : une centrale au gaz émet environ 400 g de CO2 par kWh, deux à trois fois moins qu'une centrale au fioul ou au charbon. Ceci dit, il faut tenir compte des fuites qui peuvent survenir avant l'arrivée du méthane à la centrale, au moment de son extraction - surtout dans le cas du gaz de schiste - mais aussi lors du transport. Or le méthane a un effet bien plus fort et immédiat sur le climat que le CO2 : il est 75 fois plus «réchauffant» à trente ans, et même si la molécule de méthane disparaît plus vite que celle de CO2, son impact sur le changement climatique reste 25 fois plus fort au bout de cent ans.

Nous importons de plus en plus de gaz naturel liquéfié (GNL) provenant des puits de gaz de schiste américains…

Oui. Interdire le gaz de schiste en France tout en fermant les yeux pour en acheter ailleurs, cela n’a pas de sens. C’est même faire le jeu de Donald Trump.

Le gaz fossile est-il nécessaire à la transition énergétique?

Dans un premier temps, il sera difficile de s’en passer, mais il faudra opérer une transition rapide du gaz fossile vers du gaz d’origine renouvelable. C’est tout à fait possible car on peut produire la même molécule de gaz, le méthane, à partir de biomasse (biogaz), de déchets organiques solides (gazéification) ou d’électricité renouvelable (électrolyse, puis méthanation). L’énorme avantage du gaz sur l’électricité, c’est que, contrairement à l’électron, la molécule se stocke. Voilà la clé.

C’est-à-dire ?

Il manquait la possibilité de stocker l’électricité en masse, d’une saison sur l’autre. La molécule de gaz, elle, peut être stockée en quantités considérables, dans les conduites de gaz et les réservoirs de gaz déjà en service (cavités salines, nappes phréatiques…). Stocker du gaz permet de l’utiliser ensuite pour produire de la chaleur, mais aussi développer de la mobilité complémentairement à l’électrique. Dans notre scénario énergétique, il y a encore des berlines familiales qui permettront d’aller au fin fond de la France avec les cadeaux pour la grand-mère, mais ce seront des véhicules au gaz. Ce n’est pas un problème technique, des pays entiers roulent déjà au gaz. Enfin, on peut faire de l’électricité avec ce gaz, avec des centrales à cycle combiné. Donc résoudre le problème de la variabilité du solaire ou de l’éolien et réguler le réseau électrique.

Electricité et gaz se marieront donc de plus en plus ?

Oui. La transition énergétique ne doit pas uniquement se préoccuper du mix électrique, mais considérer une autre voie majeure : la distribution par la molécule de méthane. C’est le mariage intelligent de l’électron et de la molécule qui rend possible la transition énergétique, à la condition, pour chacun d’eux, de basculer simultanément vers une production 100 % renouvelable. C’est la clé de voûte du scénario Négawatt. Plus que l’énergie d’origine, ce qui importe est ce que l’on peut faire avec l’électron et la molécule de méthane : l’un est peu stockable mais peut presque tout faire (l’électron), l’autre ne peut pas tout faire (on ne peut pas alimenter un ordinateur avec du gaz) mais est stockable.

Comment produire massivement du gaz renouvelable ?

Le biogaz sera produit par des centaines d'unités proches des grandes conduites actuelles de gaz, pour injecter celui-ci dans le réseau. Cela suppose que les déchets de biomasse ménagers ou agricoles y soient acheminés. Il y aura aussi des unités plus petites non reliées à ces grandes conduites mais qui produiront leur propre énergie (gaz et électricité). La gazéification du bois ou d'autres biomasses sèches, elle, n'en est qu'au stade du pilote industriel. Mais elle suscite beaucoup d'espoirs et peut être une alternative à l'incinération des déchets. Quant à l'électrolyse puis méthanation, on voit arriver de plus en plus d'unités, en Allemagne ou au Danemark. Cette technique peut prendre un bel essor, intégrée dans des processus d'économie circulaire où les émissions de CO2 des uns sont récupérées pour produire du méthane, avec en sus de la production de chaleur valorisable.