Clin d’œil de la météo. Alors que débutait, en cette soirée de mardi à la maison de la RATP, notre forum sur les mobilités dans le Grand Paris, plus de 700 kilomètres de bouchons paralysaient l’Ile-de-France… La neige n’a heureusement pas découragé le public et les invités, et c’est devant une salle comble que put commencer, avec un petit quart d’heure de retard, le premier débat intitulé «De nouvelles mobilités pour plus d’égalité ?».
«On oublie parfois qu'une des grandes libertés, antérieure à l'expression des droits de l'homme, c'est celle d'aller et venir», a rappelé en introduction Jacques Lévy, professeur de géographie et d'urbanisme à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Or, à l'heure où près d'un quart des actifs déclarent avoir déjà renoncé à un travail ou à une formation faute de moyen pour s'y rendre, et que 40 % des territoires ne disposent pas de plans de transports, force est de constater que la mobilité, gage d'accès à la cité, à ses emplois, à son abondance, demeure inégalitaire.
«Les territoires ne sont pas égaux face à la mobilité», confirme Jean-Marc Nicolle, maire du Kremlin-Bicêtre et président du Forum métropolitain du Grand Paris. Propos partagé par la RATP pour qui la mobilité dépasse aussi la question du simple déplacement : «Assurer un service de qualité aux 12 millions de personnes que nous transportons chaque jour en Ile-de-France est une mission de service public», rappelle la présidente-directrice générale du groupe, Catherine Guillouard. Elle l'assure : «Les nouvelles formes de mobilité peuvent être un véritable accélérateur d'égalité.» A l'ère du numérique, la RATP mise ainsi sur un «mix» entre offres de «mass transit» et solutions de transport porte à porte.
Une logique d’autopartage
Les nouveaux services de mobilité partagée agissent, eux aussi, sur les inégalités territoriales et sociales et répondent à des chaînons manquants de la mobilité. C'est le cas de BlaBlaCar, leader européen du covoiturage longue distance. «On permet de connecter des points qui ne l'étaient pas auparavant : 85 % des trajets BlaBlaCar se font hors centre-ville», indique son fondateur, Frédéric Mazzella, avant de pointer les aberrations du véhicule individuel dont on estime le coût à 5 500 euros par an et qui ne circule réellement - entre les bouchons et le stationnement - que 2,7 % de sa durée de vie. Une logique d'autopartage à laquelle semblent adhérer les 18-35 ans : «40 % des gens de cette génération sont inscrits à BlaBlaCar», à en croire Mazzella. «Encore faut-il être capable d'accéder à ce genre de services», nuance Manoelle Lepoutre, directrice engagement et société civile de Total, pour qui il existe un paradoxe entre «une aspiration croissante à être mobile et, en même temps, une complexification liée au numérique».
La révolution des mobilités chamboule aussi bien les déplacements que le cadre de vie au sein d'un milieu urbain pensé, durant des années, uniquement pour le tout-automobile. Couloirs d'autobus, pistes cyclables et, ces dernières années, apparitions de trottinettes et autres monocycles électriques sur les trottoirs ont achevé de découper l'espace en lanières. Et de faire de la voie publique un milieu complexe. «Encourager la cohabitation oui, mais à condition que l'accessibilité universelle de l'espace s'en trouve renforcée», prévient Lévy. «Il faut donc en finir avec ce modèle de spécialisation et d'accaparement de l'espace public par les véhicules privés individuels», poursuit-il. «Le problème, c'est que l'espace public a été conçu pour les bagnoles», regrette aussi Daniel Guiraud, maire des Lilas et vice-président de la métropole du Grand Paris.
Pourtant, c'est par la voiture - autonome, partagée et connectée - que peut passer la reconquête de l'espace public, à en croire Philippe Dewost, directeur de Leonard, la plateforme de prospective et d'innovation de Vinci. «Avec le véhicule autonome, on peut envisager de libérer une partie de la surface de la voie publique actuellement occupée par les voitures en stationnement.» Et d'ajouter : «Une partie de ces véhicules auront de facto l'autonomie d'aller se garer dans les zones où ils sont le moins nuisibles, voire de se rapprocher des zones d'intermodalités qui permettront de connecter les couronnes de circulation et le cœur de ville.»
«Attention toutefois à ne pas en faire un outil d'étalement urbain. Les opportunités sont exceptionnelles, mais le risque est sérieux : le véhicule autonome, c'est aussi le problème d'un certain point de vue», tempère Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l'urbanisme, qui appelle les pouvoirs publics à bâtir, face à ces nouveaux acteurs de la mobilité et de l'intelligence artificielle, des outils de régulation pour définir des règles du jeu claires. «Il va falloir qu'un dialogue s'instaure avec les constructeurs, confirme Dewost. Il faut sortir de la logique qui fait du véhicule autonome un smartphone avec des roues», faute de quoi les villes ne pourront pas reprendre la main sur l'espace et seront condamnées à rester dans une logique industrielle pilotée par quelques grands opérateurs de la flotte automobile.
«Un ensemble de solutions»
En introduction de la troisième et dernière table ronde, «Ecolo, les nouvelles mobilités ?», la journaliste Sibylle Vincendon, qui animait les débats de la soirée, fit sourire la salle en prévenant qu'il ne s'agissait pas de décerner un «trophée écologique» à un moyen de déplacement plutôt qu'à un autre. «On entend beaucoup parler de la mobilité électrique comme solution miracle, nous allons tenter de démêler le vrai du faux.» Une approche que partage Thierry Trouvé, directeur général de GRT-Gaz, qui estime qu'il n'existe pas pour l'heure de «solutions crédibles uniques», citant parmi les pistes actuellement explorées le GNV (gaz naturel véhicule déjà utilisé par des flottes d'entreprises, 20 % des bus RATP et 95 % des bennes à ordures) ou le bio-GNV (obtenu par méthanisation). Bref, a précisé Trouvé, «il ne faudrait pas résumer les problèmes de demain à ceux de la voiture électrique».
C'est ce que pense aussi la porte-parole de Paris en selle, Catherine Gauthier, qui a regretté que le plan vélo ait «pris beaucoup de retard, alors même que l'énergie de nos jambes constitue une vraie solution». Car selon elle, c'est encore «la mobilité la plus abordable». Personne ne l'a contestée sur ce point. Et Christophe Najdovski, adjoint à la maire de Paris chargé des transports de souligner que si le plan vélo «pédalait lentement», son enveloppe de 150 millions d'investissement montrait à quel point la mairie prenait l'affaire au sérieux. Et de citer des aménagements à venir (Rivoli, quai d'Austerlitz) et un réseau sécurisé de pistes cyclables. «Le potentiel est énorme», a vanté cet adjoint qui a promis de «mettre les bouchées doubles»pour 2020.
Stéphane Beaudet, président de l'Association des maires d'Ile-de-France, souhaite aussi favoriser les deux-roues mais, volontairement provocateur, il a aussi lancé qu'il fallait «remettre la route au cœur du débat». La «route» ? Elle est trop «mal utilisée» car il faut envisager «plus de gens dans moins de véhicules», à travers le covoiturage, très peu utilisé comme l'a confirmé Najdovski. Et tous de se retrouver dans la conclusion de Beaudet : «Il faut faire progresser tous ces process (bus, voiture, rail, vélo et marche). C'est l'ensemble de ces solutions qui va faire avancer le problème.» Ce soir-là, il aurait pu ajouter le traîneau.
En introduction de la troisième et dernière table ronde, «Ecolo, les nouvelles mobilités?», la journaliste de Libération Sibylle Vincendon fit sourire la salle en prévenanrt qu'il ne s'agissait pas, ce soir, de décerner un «trophée écologique» à un moyen de déplacement plutôt qu'a un autre. «On entend beaucoup parler de la mobilité électrique comme solution miracle, nous allons tenter de démêler le vrai du faux» a-t-elle poursuivi vant que Thierry Salomon, responsable de l'association Negawatt, lui a répondu en expliquant que son groupe, qui réunit une trentaine de personnes de tous horizons, travaille sur des scénarii et mesures possibles, en direction de tous les usages compris. "Il nous faut déterminer d'abord un potentiel d'économie d'énergie, avant de voir si on peut s'orienter vers un maximum d'énergies renouvelables" a ainsi posé Thierry Salomon. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz, lui a aussitôt répondu qu'il n'existait pas pour l'heure de "solutions crédibles pour transporter de grandes quantités de marchandises". Il a cependant cité comme pistes le GNV (gaz naturel véhicule) le bio-GNV (obtenu par méthanisation) et la solution de transformer l'électricité en gaz renouvelable. "Même si aujourd'hui, le dilemne est davantage entre l'essence et le diesel, qui n'est pas bon pour la santé publique, car le diesel signifie 25% d'émission de CO2 en plus"a précisé Thierry Salomon. Qui a aussitôt pris soin de ne "pas résumer les problèmes de demain à ceux de la voiture électrique".
Dans cette table ronde, il fallait aussi entendre une voix alternative à toutes ces énergies. Elle est venue naturellement de la porte-parole de"Paris en selle", Catherine Gauthier. Cette dernière a souligné avec force que le plan vélo avait "pris beaucoup de retard, alors même que l'énergie de nos jambes constitue une vraie solution". Selon elle, c'est encore "la mobilité la plus abordable". Personne ne l'a contestée sur ce point.
Mais, pour nuancer ses propos, Christophe Nadjovski, adjoint à la maire de Paris chargé des transports, soulignait que, certes, le plan vélo pédalait lentement, qu'il était, ceci explique cela, sous "la tutelle de l'Etat", mais que son enveloppe de 150 millions d'investissement montrait à quel point la mairie prenait l'affaire au sérieux. Des aménagements à venir (Rivoli, Quai d'Austerlitz...) un réseau sécurisé de pistes cyclables, que ce soit pour un "déplacement intégral en vélo", ou une "multi modalité", "le potentiel est énorme" a vanté l'adjoint aux transports. Il a promis de "mettre les bouchées doubles", pour, en 2020, avoir une ligne qui suive celle du métro ligne 1 et du RER A, une piste sur les Champs-Elysées, et des aides à l'acquisition de vélos électriques. Catherine Gauthier, qui ne lâche décidément pas le morceau, lui rétorqua alors que Londres et les métropoles nordiques possédaient une "longueur d'avance" sur Paris, et que les pistes cyclables s'arrêtent aux frontières de la capitale. "Obliger les cyclistes à rouler sur les trottoirs ce n'est plus de notre temps" a tancé la responsable de "Paris en selle".
Stéphane Beaudet, président de l'association des maires d'Ile de France, s'est chargé de mettre tour le monde d'accord, en arguant que le plan vélo à l'échelle régionale n'était pas encore "très développé".
Certes, il existe 5000 kilomètres de pistes cyclablesdans la région, mais c'est surtout"pour la balade". Il manque beaucoup de"fléchage". On devrait aussi, pense-t-il, se saisir d'une "vraie politique du vélo". Même si, selon lui, il faut aussi "remettre la route au coeur du débat". La route? Elle est encore "mal utilisée",et il faudrait envisager "plus de gens sur la route dans moins de véhicules".
Mais il fallait revenir aux carburants, comme un nerf de la guerre. Thierry Trouvé a appuyé la solution du GNV, déjà utilisé par des camions, et pour 20% des bus RATP, et 95% des bennes à ordures. Car, pour lui, il y a "urgence sanitaire". Il vit à Saint Germain en Laye (Yvelines) et "essuie chaque matin de la suie sur (son) rebord de fenêtre". Mais, prévient-il,"l'électrique ne va pas tout résoudre".
Catherine Gauthier en a profité alors pour rappeler les "enjeux véritables" de cette discussion. Selon elle, il faut "moins de véhicules qui créent moins de nuisances", et malgré la profusion des transports en commun, elle crut bon de rappeler, à toutes fins utiles, que "80% des gens se déplacent en voiture, souvent seuls".
Pour l'adjoint aux transports Christophe Nadjovski, une solution serait de développer le co-voiturage, des 1,1% actuels, à 1,8%, ce qui, d'après ses calculs "réglerait le problème des bouchons". L'adjoint pense que demain, avec le Grand Paris Express, les métropolitains se trouveront à moins de deux kilomètres d'une gare. Stéphane Beaudet va plus loin. Ce dont nous avons besoin, selon lui, c'est de "faire progresser tous ces process (Bus voiture rail, vélos, et marche...) C'est l'ensemble de ces solutions qui va faire avancer le problème". Une belle intention, comme une façon de conclure.