Fumer tue, fumer pue, et en plus fumer pollue. On ne l'invente pas : chaque année, 4 300 à 4 950 milliards (1) de mégots sont par exemple jetés dans la nature – des estimations qui varient selon les sources –, soit 30% à 40 % des déchets ramassés sur les plages ou en ville selon le dernier rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les conséquences environnementales du tabac. Dans son rapport annuel, l'ONG américaine Ocean Conservancy indique d'ailleurs qu'il s'agit du premier déchet plastique marin retrouvé sur les côtes, sans compter les résidus de tabac et les emballages en papier et cellophane.
Ecotoxique
Le problème ne tient pas qu'au volume colossal de déchets rejetés. D'abord parce qu'un mégot de cigarette, plus précisément le filtre en acétate de cellulose (du plastique) dont il est fait, met jusqu'à dix ou douze ans pour se dégrader ; ensuite parce qu'un seul bout de cigarette contient au moins 7 000 composés chimiques (nicotine, phénols, arsenic, résidus de pesticides, métaux lourds, etc.), éco-toxiques et, pour une cinquantaine d'entre eux, cancérogènes ; enfin, parce que tout cela concourt à polluer les eaux avec les funèbres conséquences que l'on connaît pour les organismes aquatiques (oiseaux, poissons, mollusques, algues…).
Pour limiter ces pollutions, et leurs conséquences, l'une des solutions, fidèle à la philosophie du zéro déchet, est de recycler les mégots qui de toute façon partent à l'incinérateur. Le tout en responsabilisant les fumeurs dans leurs gestes au quotidien, selon ses promoteurs. En France, plusieurs entreprises affirment d'ailleurs être parvenues ces dernières années à valoriser ce déchet plastique de 3 centimètres de long en moyenne. C'est le cas de MéGo !, une PME installée à Bourg-Blanc dans le Finistère, qui collecte auprès des collectivités les mégots de cigarette jetés dans des cendriers à part, les décontamine en circuit fermé et transforme les filtres broyés en plaques de matière plastique pour faire du mobilier urbain.
Trouver une méthode de valorisation
Avec une seule usine de recyclage ayant traité un peu plus de deux tonnes de mégots (soit quatre millions) à ce jour, la petite entreprise bretonne fait cependant figure d’exception. Certes, elle a séduit des villes comme Castres, Montauban et Plougonvelin ou des entreprises comme Enedis ou Hénaff, pour tester sa méthode de valorisation, mais ses capacités sont pour l’instant dérisoires par rapport à la masse de mégots jetés chaque année. Sur le même créneau, la start-up bordelaise Eco-mégot, choisie pour mener une opération de collecte (à vélo, insiste-t-on) de mégots dans un quartier de la capitale girondine, reconnaît que son programme de recyclage n’est pas encore tout à fait au point.
«Dans un mégot, il y a trois flux, le papier, le tabac et le filtre, qu'il est possible de recycler en matière plastique, soutient Rachel Richard, cheffe de projet de la microsociété. Notre gros défi, c'est la valorisation de cette matière, aujourd'hui, on en est seulement à la création d'une cellule de R&D dans l'optique de créer un outil industriel capable de recycler les filtres étant donné qu'il y a beaucoup de composés chimiques et qu'il faut arriver à savoir comment dépolluer avant de recycler.» Et d'ajouter : «Il nous faut également étudier les flux papier et tabac pour voir ce que l'on peut en faire dans une logique d'économie circulaire.»
Compost et matière plastique
Or, là encore, les 85 kilos ramassés dans les cendriers bordelais par Eco-mégot depuis octobre sont pour l'heure stockés par l'entreprise dans l'attente d'être valorisés. «Pour le moment, nous stockons les mégots que nous collectons en France et dans les autres pays d'Europe afin d'obtenir des quantités suffisantes pour pouvoir les recycler à grande échelle sur des équipements qui nécessitent en général des volumes équivalents à plusieurs dizaines de tonnes», avance elle aussi l'entreprise Terracycle, contactée par mail.
Spécialisée dans le recyclage des déchets difficilement ou non recyclables, cette «micromultinationale» américaine fondée en 2001 par Tom Szaky revendique la mise au point d'un procédé technologique «confidentiel» qui permet de décontaminer les résidus de tabac et mégots pour obtenir du compost et de la matière plastique. Néanmoins, en Europe, l'entreprise de cet upcycler canado-hongrois n'a, pour l'instant, effectué que des «tests de recyclage» dans son usine britannique. Faut-il en conclure que tout ceci n'est que de la fumette ?
Verbalisation
Disons que le recyclage des millions de mégots jetés chaque année reste à ce jour une technique «expérimentale» comme nous le fait remarquer la fondation Surfrider, connue pour ses opérations de sensibilisation aux pollutions marines. «Sachant que l'on ne recycle aujourd'hui que 30% des déchets plastiques, c'est une opération compliquée d'un point de vue environnemental : le mégot contenant énormément de matières toxiques, il faut le traiter, puis traiter l'eau et le site qui a servi au traitement. Et même en faisant ça, je ne pense pas que le plastique obtenu à partir de ces mégots puisse réglementairement sortir du statut de déchets, être apte au contact alimentaire ou aux jouets, etc.», soulève par exemple Laura Chatel, de l'ONG environnementale Zero Waste.
Un rapport d'expertise de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), rendu public en décembre 2017, souligne d'ailleurs au sujet du mégot que «les voies de valorisation lorsqu'elles existent […] sont encore au stade embryonnaire». «Il est aujourd'hui difficile, sur la base du peu d'éléments disponibles, notamment concernant la performance des procédés de lavage des filtres, d'évaluer leur pertinence et leur respect du cadre réglementaire existant», conclut ce document un poil sceptique. En attendant que le mégot soit classé par l'Etat comme un «déchet dangereux», et que la filière se développe, de plus en plus de villes ont, elles, choisi une solution dite dissuasive pour lutter contre cette pollution : la verbalisation. Et à Paris, Lille, Cannes et parfois Strasbourg, c'est 68 euros.
(1) Selon qu'on prend le chiffre du calculateur Planetoscope ou de l'étude «Analysis of metals leached from cigarette litter», parue le 18 avril 2011 dans le British medical journal.
Article republié dans le cadre de notre dossier web «Consommaion responsable», réalisé en partenariat avec MAIF. Supplément à paraître le vendredi 29 novembre dans Libération.