Apprivoiser la «convergence» plutôt que «mettre sous cloche», chacun de leur côté, chercheurs, activistes, citoyens, entrepreneurs, artistes, politiques : telle est l'ambition de l'Ecole urbaine de Lyon, dirigée depuis 2017 par le géographe Michel Lussault. «Les scientifiques sont aussi confrontés à des questions d'affect et les artistes ne sont pas seulement des boîtes sensibles, souligne ce dernier. On veut se nourrir de cette interaction permanente entre intelligibilité, émotion, engagement et mise à distance.» Jusque-là itinérante, l'Ecole urbaine, sorte d'académie alternative sous l'égide de l'Université de Lyon, associant étudiants et doctorants aux différents acteurs du territoire pour des projets de recherche et de formation transversaux, a désormais son lieu, les Halles du Faubourg.
Il s'agit d'un bâtiment d'une ancienne friche industrielle en pleine réhabilitation dans le 7e arrondissement de Lyon. Et qui dit nouvel écrin, dit crémaillère, donc fiesta (studieuse): du 24 au 31 janvier, l'Ecole urbaine de Lyon a organisé la première édition de son festival «A l'école de l'anthropocène». Ateliers, conférences, débats, lectures, expo photo et installation vidéo, ciné-club, labo radio, librairie bibliothèque : plus d'une cinquantaine d'animations ont attiré près de 3000 visiteurs. «On a souhaité proposer une sorte de plate-forme d'expérimentation dans une perspective d'éducation populaire», résume Michel Lussault.
Interrogations
Au cœur de cette semaine d’échanges, la notion d’anthropocène: c’est le terme – toujours en discussion – qu’emploie une partie de la communauté scientifique pour désigner une nouvelle ère géologique qui a vu l’impact des activités humaines devenir déterminant sur le fonctionnement de la planète. L’anthropocène, c’est donc l’épisode suivant l’holocène qui aurait pris fin avec la première révolution industrielle; c’est également un vaste champ d’interrogations et de spéculations sur la manière dont l’homme pourrait s’adapter aux changements inéluctables de ses conditions de vie.
Pour alimenter ce grand brainstorming, l'Ecole urbaine de Lyon a donné une soirée spéciale le 26 janvier, en point d'orgue de son festival: une table ronde performance de près de cinq heures, intitulée «Avant/après la fin du monde». Au dialogue du philosophe Enzo Lesourt et de l'ancienne ministre Delphine Batho, à l'atelier de «design fictionnel» de Max Mollon, aux lectures des philosophes Hélène Frappat et Mathieu Potte-Bonneville, se sont ajoutées la projection d'un montage de films catastrophes du géographe Alfonso Pinto et les prestations live du jazzman Lionel Martin, du slameur Sandenkr ou de l'illustratrice Pauline Sémon. Un foisonnement imaginé par les organisateurs de l'événement afin de s'extraire de la sidération qu'alimentent aujourd'hui les discours collapsologistes. «L'improvisation, c'est finalement un modèle de survie, théorise Michel Lussault, c'est être capable de faire quelque chose quand le cadre s'arrête, c'est continuer à produire de la pensée, de la sensation, de l'affirmation esthétique.»
Etincelles
Cette soirée a vu défiler un millier de personnes. «Une forme hybride rare», salue Mathieu Potte-Bonneville, qui pointe la nécessité du rapprochement «entre les savoirs fondamentaux et le débat public» afin d'«inventer une autre réponse au nouveau régime climatique». «Quand on est face à un défi, qu'on a le sentiment d'être dans l'impasse, les solutions, les étincelles viennent bien souvent des intersections, du frottement entre les arts, entre les différentes façons de faire. Et faire évoluer le rapport au sens, c'est une nouvelle manière de faire de la politique», abonde Enzo Lesourt, également conseiller d'Eric Piolle, maire écologiste de Grenoble.
Une nouvelle manière, en somme, de faire société, en sortant des chemins disciplinaires balisés, en plaçant l'excellence scientifique à portée de chacun. C'est bien cela que continuera à encourager l'Ecole urbaine de Lyon avec ses cours publics, inaugurés durant le festival, sur le modèle de ceux du Collège de France. Le premier, prévu sur six séances jusqu'en avril, est donné par Michel Lussault : «Ces cours ne sont pas seulement un moyen de ramener le discours scientifique dans la société, considère-t-il, mais ils permettent également aux chercheurs de revenir à la source de leur métier. Reprendre l'habitude de tester leur pensée, de tester leurs hypothèses, oraliser, c'est essentiel. L'enseignement doit rester le terrain d'épreuve de la science.»