Oui, la solidarité est une valeur à défendre. À ATD Quart Monde, nous la vivons au quotidien. Des personnes en situation de pauvreté, des volontaires permanents qui partagent leur quotidien et des alliés ou des bénévoles aux vies bien moins difficiles, sont engagés côte à côte dans un même combat: «éradiquer» la grande pauvreté, ce scandale qui perdure et touche 5 millions de personnes en France vivant avec moins de 850 euros par mois.
Cette solidarité va bien au-delà de liens fraternels qui font que l’on s’entraide et que l’on se soutient. Nous faisons ensemble, nous co-construisons, nous imaginons des solutions pour une société qui n’oublie personne. Au sein des Universités populaires Quart Monde, nous débattons de la justice fiscale, des migrants, de la famille, de la culture… Grâce à l’intelligence de tous, y compris des plus exclus si souvent méprisés, nous innovons, nous expérimentons. Une mutuelle pour assurer un enterrement digne aux plus précaires. Une recherche sur comment se nourrir correctement lorsqu’on est pauvre. Une autre pour mesurer la pauvreté autrement que monétairement. Une entreprise solidaire où travaillent des personnes soi-disant «inemployables» et qui inspire le projet «Territoires zéro chômeur de longue durée», dont nous sommes l’initiateur.
Mais cette solidarité doit se propager à toute la société, créer un nouvel état d’esprit. Ici, l’État doit prendre sa part et mettre en place des politiques réellement inclusives. Pour cela, il faut en finir avec «la lutte contre la pauvreté», avec les mesures d’urgence qui ne résolvent rien sur le fond, avec les «plans pauvreté» qui se succèdent, en finir aussi avec cette façon de l’État de se défausser sur des associations comblant ses propres manques…
Oui, la «lutte contre la pauvreté» a fait son temps! Elle a contribué à stigmatiser et à enfermer ceux et celles qui la subissent : «les pauvres». En réalité, des personnes, des familles, des citoyens accablés par la misère et l’exclusion qui voudraient vivre comme les autres.
C’est aux politiques publiques, et non à une instance dédiée aux «pauvres» qui fait dans le social, de prendre en compte tout citoyen, où qu’il soit sur l’échelle sociale. C’est ce que préconise la «loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions» du 29 juillet 1998.
L’Etat doit agir globalement, sous la responsabilité directe du Premier ministre. Quel que soit le domaine, toutes les politiques publiques doivent veiller à assurer l’accès de tous aux droits fondamentaux - emploi, soins, justice, logement, éducation, culture, loisirs… Et l’État doit évaluer leur réussite à l’aune de leur impact sur les 10% de citoyens les plus en difficulté.
Il est impératif aussi que les personnes en grande précarité soient associées, comme partenaires, à l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques. On veut bien entendre leur «témoignage» mais on ne les considère pas comme égales dans la réflexion. Pourtant, leur expérience de vie leur donne une légitimité à s’exprimer sur tout ce qui concerne la société.
Une telle concertation est possible. Nous le savons à ATD Quart Monde où nous pratiquons le Croisement des savoirs et des pratiques @ dans le cadre duquel débattent, à égalité, des personnes en situation de pauvreté, des chercheurs, des praticiens…
La révolte des «gilets jaunes» est un rappel salutaire que tous les habitants de notre pays doivent être entendus. Les plus pauvres sont des citoyens comme les autres, à égale dignité. L’accès aux droits fondamentaux doit leur être assuré. Cela passe par la solidarité de tous avec tous, par la justice et par l’équité. Alors peut-être verrons-nous une société où chacun trouvera sa place.