Sur le terrain vague qui fera office de jardin, une colonie de jeunes palmiers vient d’être plantée. Les longues palissades qui doivent séparer le complexe du reste de la ville de Gizeh, tout près du Caire, sont presque terminées et désormais, chaque jour, des dizaines de trésors arrivent de toute l’Egypte pour nourrir cette nouvelle vitrine qui sera, à terme, le plus vaste musée d’égyptologie au monde.
Son coût est estimé à plus d'un milliard d'euros, en majeure partie financé par des prêts de l'Agence de coopération internationale du Japon, contributrice et admiratrice fortunée de l'Egypte antique. «L'exposition Toutânkhamon va aussi rapporter de l'argent. Beaucoup, même si nous n'avons pas encore de chiffre… Et une partie ira directement au ministère des Antiquités pour être réorientée à la fin des travaux du musée des pyramides», indique une source discrète au ministère.
Grands travaux. Lancé en 2002 par le président Moubarak, plusieurs fois stoppé, notamment en 2011 au moment de la révolution, ce projet a été remis au goût du jour par l'actuel chef de l'Etat, Abdel Fattah al-Sissi, comme symbole supplémentaire de sa politique de grands travaux, aux côtés de l'extension du canal de Suez inaugurée en 2015 ou de la construction d'une nouvelle capitale en plein désert, non loin du Caire, dont la date de fin de chantier demeure incertaine.
«On avait annoncé une inauguration partielle fin 2019. Mais une décision présidentielle a changé nos plans pour fixer l'ouverture totale du musée à 2020», explique le directeur, Tarek Tawfik, qui reçoit ce jour-là un immense coffre abritant un visage en granit d'Akhenaton. Il ne faut pas moins de six ouvriers pour déplacer ce joyau du XIVe siècle avant Jésus-Christ qui ira compléter les riches collections de portraits et de bustes royaux déjà installés dans le futur musée.
Face aux pyramides, le nouvel édifice long de 500 mètres fait aussi partie du plan de relance du tourisme, pan essentiel de l’économie égyptienne, victime collatérale de la chute de la dictature en 2011 et des attentats. Huit ans après, la contribution totale de ce secteur au PIB local ne représente que le tiers de ce qu’il était dans les années 2000. Un manque à gagner certain pour une économie à bout de souffle et un pays dont la population s’est encore appauvrie ces dernières années, malgré une aide de plan d’aide du FMI de 12 milliards d’euros.
Mais au Grand Musée du Caire, place Tahrir, il n'est pas question de pénurie : ici, 100 000 artefacts seront regroupés dans l'ombre millénaire des plus célèbres constructions au monde. «Les touristes se verront offrir des carnets de visite pour les deux sites, pyramides et musée, qu'ils pourront boucler en une journée», déclarait récemment à la presse Khaled El-Enany, ministre des Antiquités, devant l'entrée du bâtiment où une statue colossale de Ramsès II venait d'être déposée ; hiératique protectrice qui veille désormais sur les 5 000 ouvriers qui s'activent jour et nuit pour finir d'édifier ce rêve pharaonique.
Référence. «La moitié des collections sera exposée en permanence, l'autre moitié sera nettoyée, restaurée et étudiée directement sur place», insiste Mohamed Kamal, directeur général de la Conservation, vaste pôle scientifique ultrasécurisé implanté derrière le bâtiment principal. Dix-sept immenses laboratoires sont destinés à ces trésors antiques. Certains, enfermés jusque-là dans les sous-sols du Musée du Caire, arrivent passablement abîmés. «On travaille avant tout sur les objets du musée qui seront montrés au public. Mais on a pour ambition de faire de nos laboratoires une référence pour les sites antiques de tout le Moyen-Orient et un espace de formation et de recherche», poursuit Mohamed Kamal. Parmi les objets convalescents, délicatement dépoussiérés, repeints, réparés, mais aussi photographiés ou scannés, figureront certaines des quelque 5 000 pièces du trésor de Toutânkhamon qui seront montrées toutes ensemble et pour la première fois ici au public : masque, sarcophage, lits et char en or, bijoux de nacre incrustés de pierres précieuses. Ou encore, plus trivial, certains des dessous portés par le jeune pharaon dont le règne n'aura pas laissé d'empreinte singulière dans l'histoire, mais dont le trésor reste le flambeau et la fierté de l'Egypte moderne.