Les Anglo-Saxons l’appellent «Tut», nous lui donnons plus respectueusement du Toutânkhamon. Mais fut-il un grand pharaon, de ceux qui vous chamboulent l’histoire avec un grand H ? D’ailleurs, ce roi au fabuleux trésor régna-t-il vraiment ? Mais bon sang, qui est Tut ? Profil de ce fils du grand Akhenaton l’hérétique, né vers 1345 avant J.-C. dans la ville d’Akhetaton (Amarna aujourd’hui) et disparu vers 1326 avant J.-C., dans la neuvième ou dixième année de son règne. Il avait 18 ou 19 ans.
1/A quoi ressemblait-il ?
Son masque mortuaire laisse espérer un garçon beau comme l'antique, solaire, avec des traits fins et réguliers, une bouche appétissante, des yeux à se jeter dans le Nil. Las, la momie a révélé un physique moins avantageux. «Il était un peu rétrognathe. Avec la mâchoire du bas en arrière et les dents de la mâchoire supérieure en avant, un peu comme Freddie Mercury», expose, un rien facétieux, Dominique Farout, égyptologue et conseiller scientifique de l'exposition. «Il présentait aussi une fente palatine, pas un bec-de-lièvre mais on peut envisager des difficultés de prononciation», poursuit cet enseignant à l'Institut Khéops, à l'Ecole du Louvre et à l'ENS Ulm. Le tableau peu flatteur ne serait pas complet sans la mention d'une nécrose osseuse au pied gauche. Un pied-bot ? «Il y a encore débat sur la question mais c'est fort probable.»
Dans la moyenne de son époque, ce jeune homme mesurait dans les 1,65 m. En gros. Car «la momie a été beaucoup manipulée, et la momification a tendance à ratatiner les corps», précise Farout, curieux d'en apprendre davantage encore sur le physique du mythique pharaon qui donne l'impression d'avoir été fluet mais pratiqua peut-être l'équitation ou le tir à l'arc. On ne saurait en tout cas se laisser abuser par les représentations de Tut, un poil fallacieuses, qui ornent les murs des monuments. Avec son crâne bombé en courgette, comme un nouveau-né : en fait le symbole du Dieu créateur. Ou façon silhouette de femme qui vient d'enfanter, avec notamment des hanches larges : en fait une métaphore d'un dieu homme et femme, père et mère.
2/Qui était sa famille ?
Après des décennies de supputations, l'arbre généalogique de Toutânkhamon semble enfin faire consensus. D'abord, il y a le père, une star, un rebelle, un hérétique : Akhenaton, né possiblement entre -1371 et -1365 et mort en -1338 ou -1337. C'est le pharaon qui envoya paître le polythéisme, le culte du dieu Amon et promut au firmament le culte exclusif du disque solaire, le culte d'Aton. D'où le nom originel de son garçon qui s'appela d'abord Toutânkhaton («l'image vivante d'Aton») avant d'être rebaptisé Toutânkhamon quand le culte d'Amon fut rétabli par ses soins. Quid de la mère ? Des analyses ADN effectuées en 2010 par une équipe germano-égyptienne sur plusieurs momies royales qui seraient apparentées au pharaon penchent pour une momie anonyme connue sous le nom de «Young Lady». L'une des sœurs d'Akhenaton…
Suite de l’histoire : Toutânkhamon, qui accéda au trône vers l’âge de 8 ou 9 ans, s’unit alors à son tour à une demi-sœur, la princesse Ânkhésenamon, fille d’Akhenaton et de la divine Néfertiti. Un rien consanguins ces pharaons. Enfin, ce livret de famille ne serait pas complet sans la mention des deux petites filles de Toutânkhamon et Ânkhésenamon. Mortes à la naissance, elles sont enterrées avec leur père dans la Vallée des rois.
3/Comment a-t-il vécu ?
On sait peu de chose du quotidien du jeune couple royal, si ce n'est que Toutânkhamon et son épouse résidèrent principalement à Memphis, au sud du Caire, et qu'ils conçurent donc deux petites filles mort-nées. Pour le reste, les hiéroglyphes qui couvrent les monuments racontent surtout la vie-qui-va-bien et l'histoire officielle. Des petits détails cependant. Dans le tombeau du pharaon furent trouvées des petites sauterelles en or - des jouets d'enfant ? On dénicha aussi des coffres contenant des rasoirs - qui servirent à lui raser le crâne ? Autres reliques de la vie quotidienne : des tonnes de boîtes de conserve, comprendre des jarres pleines de vin, mais aussi du bœuf (viande noble, surtout la patte avant gauche, celle qui est forte et du côté du cœur) et du canard, «manifestement la nourriture de l'élite», commente Dominique Farout. Bref, le pharaon mangea sans doute royalement. «Mais qui sait s'il ne préférait pas une nourriture moins prestigieuse, comme le porc ou le mouton ?» Enfin, on notera la présence de cannes dans sa sépulture. Pour mieux se déplacer, comme l'insinuent certains ? Farout penche plutôt pour des bâtons servant à la bagarre, évoquant une sorte de capoeira à l'égyptienne qui se pratique toujours. Au registre de l'anecdote, on notera qu'il est avéré que Toutânkhamon participa à une chasse à l'autruche dans la région d'Héliopolis, d'où il rapporta des plumes utilisées pour un éventail retrouvé dans sa tombe…
4/A-t-il vraiment régné ?
On attaque par un mystère. Qui a régné entre Akhenaton et Toutânkhamon ? «Nous avons un trou de trois à quatre ans. Et ne sommes pas d'accord entre nous», admet Dominique Farout. Mais il est ensuite admis que Toutânkhamon prit ses fonctions à l'âge de 8 ou 9 ans. Fut-il un jouet aux mains de l'armée ? «On ne sait pas. Il a été éduqué pour régner mais…» Seule certitude, le règne du fils d'Akhenaton l'hérétique fut sans doute consacré à rétablir ce que son père avait renversé : le culte d'Amon et le polythéisme. Et l'on suppose ainsi que sous Toutânkhamon le bâtiment se porta bien. Avec érection de stèles et de statues, et remise en place de l'ancien - notamment dans les temples de Karnak et de Louxor. Des guerres à signaler ? «On penche plutôt pour une guerre froide avec les Hittites digne de celle qui opposa les Américains aux Russes.» En tout cas, les faits sont là : Toutânkhamon occupa son trône pendant une dizaine d'années. Et pour l'époque, le Nouvel Empire, c'est déjà bien long.
5/De quoi est-il mort ?
C'est peu dire que la mort du pharaon vers l'âge de 18-19 ans a fait phosphorer les égyptologues. A-t-il été assassiné comme on l'a un temps affirmé ? «On ne voit vraiment pas pourquoi il l'aurait été ; pourquoi aurait-on voulu mettre à mal la stabilité du pays ?» raisonne notre spécialiste, qui préfère s'en remettre à des scans récents de la momie qui n'ont révélé aucune trace de coup mortel. Il est en revanche avéré que le pharaon dut endurer une fracture ouverte du fémur. Un accident de char ? Réponse de Farout : arrêtons de charrier avec sa mort. «Il a peut-être buté sur un caillou. Peut-être s'agit-il d'une autofracture comme cela arrive aux personnes âgées, à ceux de constitution fragile. Car, outre cette fracture, il était atteint du paludisme et souffrait d'un léger pied-bot du côté gauche. Si les causes exactes de sa mort demeurent difficiles à établir, on peut imaginer que celle-ci est due à l'ensemble de ces facteurs.»
6/Comment a-t-il été découvert ?
Cela s'est joué à peu de chose. A l'automne 1922, Lord Carnarvon, richissime mécène passionné d'égyptologie, est lassé de financer en vain les fouilles d'Howard Carter, rencontré une quinzaine d'années plus tôt. Après cinq saisons sur le site des nécropoles de l'ancienne Egypte, il menace d'abandonner les recherches. Carter lui arrache une ultime année de crédit. Et bingo ! Au bout d'à peine cinq jours, un coup de pioche fait entendre un son étrange dans le sable… «Le 4 novembre, lorsque j'arrivai sur le chantier, un silence inhabituel me fit comprendre que quelque chose venait de se passer, raconte Carter dans son journal. On m'annonça aussitôt qu'on venait de mettre au jour une marche taillée dans le roc…» L'égyptologue vient enfin de trouver son Graal. Lui qui, depuis des années, ne rêvait que de ce petit pharaon inconnu du grand public, l'obscur Toutânkhamon, roitelet mort à 18 ans dans des circonstances troubles. Car, à l'opposé de nombre de ses collègues persuadés, sur la foi d'objets trouvés à son nom, que sa tombe a déjà été visitée, Carter était sûr que la momie et ses fabuleux trésors restaient à découvrir. Mais où ? Toute la vallée a été fouillée. C'est alors que l'archéologue a décidé de se concentrer sur les zones de déblais recouvertes par les expéditions antérieures. Ce qu'il a fait avec persévérance.
La suite ? On la connaît : le télégramme envoyé à Lord Carnarvon, alors en Angleterre. «Merveilleuse découverte dans la Vallée. Tombe superbe avec sceaux intacts. Attends votre arrivée pour ouvrir. Félicitations. H.C.» Puis les derniers mètres dégagés avec précaution. Une ouverture réalisée avec une pointe de fer, la lumière d'une bougie… Et les deux hommes qui contemplent le reflet de l'or, le scintillement des pierres précieuses. Avec ce dialogue passé à la postérité : «Alors, vous voyez quelque chose ?» «Oui, des merveilles !»
7/Etait-ce bien son tombeau ?
Sépulture étriquée, plan inhabituel, peinture fraîche… A qui était destiné le tombeau KV62 ? En fait, il semblerait que le décès prématuré de Toutânkhamon ait surpris tout le monde et qu’il ait fallu lui trouver une sépulture dans l’urgence.
Comparés aux grands hypogées des autres souverains, ces 96 m2 font en effet pâle figure - d'où l'entassement des quelque 5 000 objets stockés en vrac dans trois pièces (antichambre, annexe et salle du trésor). Le plan rappelle celui des tombes privées des hauts dignitaires du régime. Elle pourrait donc être celle de son conseiller Aÿ et successeur sur le trône, qui sera lui-même ensuite enterré dans le caveau initialement prévu pour le jeune roi.
Il est en tout cas clair que la préparation du tombeau a été réalisée à la hâte : seule la chambre funéraire est décorée et on a repéré des éclaboussures de peinture et des traces d’humidité sur les parois, prouvant que la tombe a été scellée avant que tout soit sec. Quant au mobilier et objets (dont le masque d’or), une partie a de toute évidence été réalisée pour une pharaonne (sa demi-sœur Mérytaton, sa belle-mère Néfertiti ?)
Depuis le 1er mai 2014, le public peut (re)découvrir le site fermé en 2011. Mais les touristes ne pénètrent plus au cœur du caveau original. Comme à Lascaux, c'est désormais une réplique réalisée à l'identique qui peut être visitée. Un tombeau numérobis…
8/Néfertiti fait-elle chambre à part ?
En 2015, l'égyptologue britannique Nicholas Reeves lance l'hypothèse d'une chambre secrète et demande qu'on autorise des recherches complémentaires. Selon lui, la tombe de Toutânkhamon serait en fait celle de la première épouse d'Akhenaton, Néfertiti. La partie la plus proche de l'entrée aurait été réutilisée pour y placer la dépouille du pharaon une dizaine d'années après la mort de la reine. Laquelle dormirait donc depuis trois mille ans derrière la chambre funéraire de son beau-fils. Discussions, polémiques, hypothèses… Les infrarouges et les radars rendront finalement leur verdict : pas de pièce secrète derrière les murs. Ou, s'il y en a, de simples cavités. «On y trouvera vraisemblablement les restes des sandwichs et les outils abîmés laissés par les artisans», s'amuse Dominique Farout.
9/Pourquoi dans la Vallée des rois ?
Objet de tous les fantasmes, la Vallée des rois se trouve sur la rive occidentale du Nil, face à l’ancienne cité de Thèbes, capitale religieuse du royaume, connue aujourd’hui sous le nom de Louxor, dans le sud du pays. C’est là, dans un couloir de roche et de sable surplombé d’une cime en forme de pyramide, que furent ensevelis les souverains d’Egypte et quelques hauts dignitaires pendant près de quatre siècles (de -1450 environ à -1000 avant J.-C.). Le culte funéraire se déroulait dans la plaine. La Vallée, elle, était un endroit sacré interdit aux profanes. Les pyramides de l’ancien temps ayant montré leurs limites, il importait de se faire oublier pour éviter les pillages… Raté, toutes les tombes furent visitées, souvent quelques semaines à peine après leur fermeture. Toutes ? Non ! Car un sarcophage…
10/Au fait, où sont les autres ?
Incapables de protéger leurs royaux pensionnaires dans un pays gangrené par la corruption, les prêtres décidèrent, vers l’an 1000 avant J.-C., de regrouper les corps démembrés et abîmés dans des cachettes, pour mieux les surveiller. En 1881, la découverte de la cache de Deir el-Bahari (un complexe funéraire composé de temples et de tombes légèrement au sud de la Vallée des rois) met au jour plus de 3 000 statuettes, des papyrus et une cinquantaine de momies, dont les plus grands pharaons d’Egypte comme Ramsès II. Elles sont ramenées en grande pompe au Musée du Caire, où viendra les rejoindre Toutânkhamon quelques décennies plus tard. La famille est désormais au complet.