Le «rabbit hole», le «trou de lapin», c’est l’entrée du terrier d’Alice au pays des merveilles, qui marque le passage entre une vie normale et un monde inconnu, effrayant. Les Anglo-Saxons utilisent ce terme en astronomie pour désigner un trou noir, qui aspire la matière sans que l’on sache ce qu’elle devient – tout comme les zones grises du cerveau qu’endommage parfois irrémédiablement un choc psychologique. Rabbit Hole, c’est également le titre d’une pièce du dramaturge américain David Lindsay-Abaire, prix Pulitzer 2007, qu’a mis en scène Claudia Stavisky, directrice du Théâtre des Célestins, à Lyon. Repris au Théâtre des Bouffes parisiens, le spectacle a donné sa dernière représentation le 10 mars. Rabbit Hole raconte comment Becky et Howard, après avoir perdu leur fils de 4 ans dans un accident de la route, tentent de surmonter ce drame, entourés de la sœur et de la mère de Becky. Trois questions à Claudia Stavisky.
Pourquoi avoir choisi ce texte ?
Il m’a bouleversée car la façon dont l’auteur décrit le processus de résilience de cette famille m’a fait réfléchir à tous les processus de résilience. Comment peut-on survivre à cette tragédie totalement injuste, incompréhensible qu’est la mort d’un enfant? Il y a quelque chose de l’ordre du miracle, du miracle laïque. Si vous réfléchissez bien, la totalité de l’histoire du théâtre occidental est basée sur ce fait absolument incroyable qui est celui de survivre. Quand on a demandé à Edward Bond, immense dramaturge anglais, quelle est la motivation de tel ou tel personnage, dans telle ou telle scène, il a souvent ri avant de dire : il n’y a qu’une seule et unique motivation pour tous les personnages de toute l’histoire du théâtre occidental, survivre. Cette pulsion de vie est essentielle à l’être humain et à ses créations. Avec cette pièce, je trouvais formidable de pouvoir traiter d’une question aussi incandescente au travers de la vie quotidienne de cette famille, et avec humour.
L’humour est en effet l’une des «armes» de la résilience…
L’humour, qui suppose une intelligence, un minimum de distance, n’est pas inné, il s’acquiert de haute lutte. Dans la pièce, il y a cinq personnages, donc cinq processus de résilience différents, qui paraissent au départ complètement dérythmés, tellement intimes qu’ils sont incompris des autres. Mais à la fin de la pièce, ils se retrouvent, dans le même temps et le même espace pour faire force commune. Je crois que seul, la résilience est impossible. Il doit y avoir l’humour, mais aussi l’amour d’une communauté, qui soutient et aide. C’est comme ça que l’on peut continuer à se trouver humain en plein milieu de l’inhumanité qu’une telle expérience comporte.
Avant qu’un drame les touche, les hommes et les femmes ont une fâcheuse tendance à ignorer la fragilité de la vie, à se croire immortels…
Je ne me suis jamais vécue comme immortelle, à l’instar de ceux qui travaillent une matière aussi complexe, humaine et éternelle que la matière théâtrale. Le déni de la mort et le refus de la souffrance sont parmi les raisons de l’existence du théâtre: cette activité millénaire, concomitante à la naissance de la démocratie, dont on nous a prédit je ne sais combien de fois la mort, à cause de la télévision, puis du cinéma et d’Internet, conserve cette fonction sociale, qui n’est pas seulement celle de l’éducation et de la culture, mais qui est aussi celle de réunir les gens autour de thématiques et de sujets dont ils ont peur, dont le déni dans leur vie quotidienne est énorme.
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