L’ancien ambassadeur de France au Danemark, François Zimeray, s’exprimait ainsi sur la différence entre nos deux pays : « Au Royaume du Danemark, l’état d’esprit est égalitaire, alors que dans la République, tout le monde est le Louis XIV de quelqu’un. »
Bien qu’on puisse s’étonner, en tant que Danois, de l’élitisme des Français, nous avons malgré tout un certain nombre de points communs. L’un d’entre eux est l’accès libre et égal à l’éducation, de l’école primaire aux universités. En France comme au Danemark - et un peu partout en Europe - il est possible de s’affranchir de son héritage social et d’accéder à l’élite de la société.
Pour autant, partout sur le continent est colportée l’idée d’une opposition entre le peuple et l’élite. On néglige même le fait que l’élite politique d’une démocratie est élue par le peuple, que ses membres soient issus d’un milieu rural ou privilégié.
Il n’en va pas de même, bien sûr, pour les classes supérieures économiques. Si l’on est de gauche, on pense qu’elles ont davantage de pouvoir que les politiques. Si l’on est de droite, on pense la même chose.
La différence est que le populisme de droite désigne comme boucs émissaires les musulmans et les juifs plutôt que de s’interroger sur les raisons structurelles de l’inégalité. La lutte des classes est remplacée par une politique de l’identité, exactement comme dans les années 1930, quand le socialisme est devenu national et que la conscience de classe a été remplacée par le rêve de la pureté aryenne.
Il ne faut pas diaboliser les manifestants populistes en colère, mais il ne faut pas non plus les traiter comme des enfants ou des saints. Dans une société où l’éducation est gratuite, ce n’est pas seulement un droit, mais aussi un devoir de s’informer et d’être en possession d’un minimum de conscience historique.
« Chacun a ses raisons, » comme disait Jean Renoir, mais le désespoir social ne sera jamais une excuse pour le chauvinisme. Il n’y a rien d’élitiste à protester, lorsque la réponse à l’insécurité de la globalisation est le mythe fallacieux du passé harmonieux et intègre de la nation. Le réjouissant lien du sang.
Derrière la colère repose un sentiment justifié de la classe ouvrière d’avoir été abandonnée sur une voie de garage par le développement. Derrière le nationalisme repose l’expérience historique que la nation, partout en Europe, a été le cadre de l’État providence.
L’abandon de la lutte des classes a été le prix à payer pour la sécurité et la dignité pour tous. C’est ce pacte-là que la globalisation a trahi.
Mais où est passée la gauche ? Pourquoi le ressentiment envers les musulmans - et les juifs - est-il en droit de dominer au dépens d’une volonté de réformes du marché du travail capables de créer une nouvelle prospérité pour le plus grand nombre ? De doter le marché libre, globalisé, d’un visage humain ?
Personne ne peut prétendre représenter « le peuple » - surtout pas les populistes. Un parti a une responsabilité envers ses électeurs, alors qu’un mouvement populaire non organisé refuse toute responsabilité envers quiconque.
Cependant, pour les élections du parlement européen à venir, ce serons nous, les Européens, qui serons tenus pour responsables. Dans des démocraties comme la France et le Danemark, nous pouvons, en tant que citoyens, dire que « l’État, c’est nous ». Et nous pouvons dire la même chose de l’Union européenne.
Il est de notre responsabilité de confronter les candidats à la question de ce qu’ils ont l’intention de faire pour faire face aux défis de la globalisation - le climat, les marchés financiers, les flux migratoires - si ce n’est pas par une coopération européenne intensifiée.
Traduit du danois par Inès Jorgensen.
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