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Forum de Strasbourg

«Europes», une exposition qui raconte la diversité d'un continent

Événementsdossier
Le collectif d'artistes Les Individus propose à Strasbourg une exposition en plein air sur le thème de l'Europe.
(Valerie Etterlen)
publié le 14 mai 2019 à 16h02

L’Europe est un dialogue au bord de l’eau, place Jeanne Hebling à Strasbourg. Dix grands panneaux doubles face jalonnent les quais entre le centre commercial et le cinéma UGC jusqu’au 20 mai. L’exposition «Europes» du collectif Les Individus raconte le continent. Un pluriel pour dire sa diversité, les différents regards portés sur l’actualité européenne, les richesses de l’Union, les rêves qu’elle inspire autant que ses drames. Combien y a-t-il d’Europes ? Christian Remy, membre du collectif en voit «au moins trois» : «l’Europe historique des fondateurs, l’Europe du repli sur soi, et plus insaisissable, l’Europe du quotidien, d'Erasmus, des kebabs… C’est cette dernière que le collectif Les Individus veut défendre, avec des œuvres plus ou moins politisées et poétiques, qui abordent la question des réfugiés, des populismes, des mythes.

Christian Remy applique les codes des comics à l’Europe, il invente monstres dégoûtants, fantômes et superhéros : la pin-up Europe est kidnappée, le héros en combinaison bleu moulante soulève à la force des biceps un amas de charbon et d’acier, référence à la CECA oubliée (communauté européenne du charbon et de l’acier). Son travail, avec dessins tramés et couleurs vives à la Jack Kirby (un des créateurs de Captain America), dénonce ce qui n’est jamais arrivé : le passage de la construction européenne dans l’imaginaire populaire. Il invente une mythologie européenne version pop puisqu’elle n’existe pas, il rend visible le manque. «En Europe, on est dans une culture qui part du haut, qui serait la grande culture, et qui dispenserait ses bienfaits comme par ruissellement, de manière descendante. Nous ne sommes pas à l’aise avec la culture populaire au contraire des Américains qui ont tendance, à avoir une culture qui infuse par le bas puis accède aux musées». Le travail tendre et délicat, empreint de mélancolie et d’animisme de l’artiste coréenne Yun-Jung Song est une allégorie de l’Europe où les corps et les natures se mêlent, se fondent, se confondent dans ses céramiques. Elle rejoue le mythe originel grec ultraviriliste, ce taureau, Zeus, qui emmène dans les vagues cette belle jeune fille, l’Europe.

D’autres, comme la peintre Ève Guerrier ou le photographe indépendant Pascal Bastien (qui travaille aussi à Libé) regardent l’humain. Instantanés de l’Européen, touriste, travailleur ou voyageur. Ici en Irlande une dame avec un cabas floqué Paris, là en Roumanie un homme marche le long d’un chemin de fer, puis il y a cette foule de corps à la plage, laquelle ? N’importe laquelle. Le crayon d’Ève Guerrier s’attache aux liens, au couple, à la famille. Qu'elle soit monoparentale, homoparentale, mixte. Deux filles s’embrassent. C’est flottant, ouvert et vivant.

Deux œuvres de Valérie Etterlen reprennent une image coup de poing de septembre 2015. On reconnaît la silhouette enfantine d'Aylan Kurdi, petit corps-mort échoué sur la plage de Bodrum en Turquie. Il est surplombé par les animaux tutélaires, le coq français, le loup italien, le lion anglais, l’aigle noir allemand. Ils le regardent, majestueux et immobiles, chacun sur un piédestal qui semble s’effacer, comme l’Union s’estompe avec le Brexit. Valérie Etterlen représente aussi le coq français déchu, il gît sur le flanc, comme le cadavre d’Aylan. Dans son collage de cartographies faussement naïf, «Maman les petits bateaux», Véronique Buri dit toute l’ambiguïté de l’Europe qui d’une main sauve, de l’autre, coule un bateau. Enfin, la plasticienne présente un bijou, «L’Europe et un». C'est un torque, collier traditionnel réalisé avec du bois ramené de sa résidence sur l’île de Guernesey, dans la maison de Victor Hugo. Ces branches proviennent de l’arbre planté en 1870 par l’auteur des Misérables avec ses petits enfants et son jardinier, qu’il a appelé «chêne des Etats-Unis d’Europe».