Du 15 au 17 mai, le cinéma Odyssée propose une programmation sur le thème de l’Europe, en amont du forum Libération. Construit en 1913, c’est une des plus ancienne salle de cinéma, restée dans son cadre d’origine, un théâtre cinématographique avec rideau, orchestre et balcon. Il a fonctionné presque sans discontinuer jusqu’en 1986 puis a rouvert en 1992 avec l’association Les Rencontres cinématographiques d’Alsace, dirigée par Faruk Günaltay.
Dès le départ, votre projet pour faire renaître ce cinéma avait une dimension européenne ?
Notre objectif était de faire du cinéma autrement, affranchi des seuls impératifs commerciaux. Un cinéma avec un objectif d’éducation, de culture, de défense et promotion de l’Europe. Un cinéma qui organise une sorte de gymnastique du regard. En 1992, la salle ouvre avec un nouveau nom, L’Odyssée, qui désigne l’aventure de la découverte et de la curiosité. Faire du cinéma autrement c’est créer l’actualité par une programmation qui n’est pas indexée sur le calendrier des sorties commerciales. Nous voulons développer une connaissance des cinématographies européennes: elles représentent en France 5% des recettes et spectateurs, à l’Odyssée c’est 52% de nos 4000 séances annuelles. Nous sommes à contre-courant du marché. C’est un engagement parce que le cinéma est une carte de visite, il permet de comprendre, pourquoi, comment, les gens rient, rêvent, pleurent. Le temps d’une projection, on devient un autre, on s’identifie par exemple aux souffrances d’une femme qu’on n’est pas. Le cinéma nous rapproche, cultive l’empathie. On ne peut pas devenir raciste quand on s’identifie à un autre. C’est important de défendre cette perspective européenne. L’émotion cinématographique développe une culture de la fraternité.
Pourquoi avoir choisi de projeter Mort à Sarajevo de Danis Tanovic ?
Ce film revient sur un des grands échecs de l’Europe, un point aveugle de son histoire, le massacre de Srebrenica en Bosnie. C’est un film qui interroge, comme une gifle avec un humour ravageur. Il faut tirer les leçons de nos échecs, remettre l’Europe sur le métier comme Pénélope dans l’Odyssée d’Homère, pour construire une Europe «du peuple, par le peuple, pour le peuple» selon la formule de Lincoln. Ce film extraordinaire, inspiré d’un texte de Bernard-Henri Lévy mis en scène à Sarajevo, montre le désarroi, pointe les hypocrisies de ceux qui se servent d’une cause plus qu’ils ne la servent. Ce film est fait avec l’extrême élégance et la politesse du désespoir.
Dénoncer une certaine hypocrisie, c’est aussi le sujet de L’Ordre des choses, d’Andrea Segre ?
Oui, c’est un superbe film italien qui montre une Libye pulvérisée en un ensemble chaotique où des chefs de tribus se disputent un pouvoir de plus en plus réduit. Et ces voyous qui font du trafic de migrants sont aussi les interlocuteurs obligés de l’Union européenne, ils acceptent de retarder les départs pour réguler les flux à la baisse en échange de l’argent de l’UE. Ils s’enrichissent, la Méditerranée se transforme en cimetière, c’est une honte pour notre conscience européenne. Le dernier film de cette programmation Europe, est un film de mémoire, Le Labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli. Jusqu’en 1958, dans la société allemande fédérale, l’opinion publique croyait qu’Auschwitz était un camp de travail. Plusieurs procureurs provoqueront l’ouverture d’un procès, cela permettra de montrer la réalité de la machine génocidaire.
Quel lien faites-vous entre ces trois films ?
L’enjeu, en filigrane, est cette interrogation : est-ce que l’Europe doit se réduire à l’Europe du fric avec en guise de cache-sexe quelques bonnes intentions auxquelles personne ne croit ? L’Europe n’est-elle pas faite au contraire pour résoudre les problèmes des populations, les rapprocher dans un projet qui met en commun leurs destins ?
Retrouver le programme Europe du Cinéma Odyssée : Mort à Sarajevo de Danis Tanovic, mercredi 15 mai à 20h30/L'Ordre des choses d'Andrea Segre, jeudi 16 mai à 20h15/Le Labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli, vendredi 17 mai à 20h20.