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Barbara Cassin, le pouvoir des mots

L'Europe: un esprit de résistancedossier
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Barbara Cassin est philosophe, philologue et académicienne. Spécialiste de la rhétorique, elle analyse la puissance du langage en politique et intervient ce samedi 18 mai lors de la conférence «Des mots aux maux de l’Europe», de 11h30 à 13h à la librairie Kléber.
(Jason Taellious / Flickr)
par Julia Toussaint
publié le 18 mai 2019 à 10h42

Passionnée de langues étrangères, c’est au travers des mots que Barbara Cassin perçoit la richesse de l’Europe. Née en 1947 à Boulogne-Billancourt, la philosophe philologue passera trente ans au CNRS et n’aura de cesse d’étudier le langage, la traduction, de réfléchir à

«ce que peuvent les mots»

. Travailleuse prolifique, cette spécialiste de la philosophie grecque voit son parcours couronné, le 3 mai 2018, par sa nomination au 36

e

fauteuil de l’Académie française.

Quand on lui parle d'esprit de résistance, Barbara Cassin évoque une résistance contre la « globalisation inévitable et malsaine, dont les premières victimes sont le climat et les réfugiés. » Son dernier projet en date, «un peu fou», c'est la construction de Maisons de la sagesse. Des espaces de transmission culturelle centrés autour de la traduction, comme il en a existé au IXème siècle à Bagdad. Deux ont vu le jour, à Marseille et Aubervilliers, là où Barbara Cassin travaille avec «ceux qui viennent de loin», une formule qu'elle préfère au mot migrant. La philosophe, qui partage sa vie entre la France, l'Ukraine, le Brésil et l'Afrique du Sud, plaide pour une «société d'hospitalité».

«La diversité européenne c'est aussi, et je dirais même surtout, la diversité de ses langues et de ses cultures». Dans un ouvrage collectif intitulé le Vocabulaire Européen des philosophes (Seuil, 2004), Barbara Cassin décline la traduction de termes et expressions philosophiques dans une quinzaine de langues. «Traduire, c'est faire avec les différences», aime-t-elle à rappeler. Loin de s'accommoder d'une traduction univoque, elle met en garde contre les dangers du «globish», ou «global english», une langue unique et universelle, simplifiée, synonyme d'appauvrissement et d'exclusion.

Avec son dernier ouvrage, Quand dire, c'est vraiment faire (Fayard, 2018), Barbara Cassin remet au goût du jour la sophistique, l'habileté à manier les mots, l'art oratoire, celui qui permet de convaincre une foule, une assemblée, un peuple tout entier parfois. Elle en est certaine, «le langage est puissant, pour le meilleur et pour le pire». Orban, Trump, Bolsonaro, Salvini... on ne saurait ignorer encore les astuces de la rhétorique populiste. «C'est toujours la même langue de bois, les mêmes éléments de langage. Le mot "peuple", par exemple, revient à toutes les sauces.» Voilà ce que peut le langage, et ainsi passe-t-on des mots aux maux