Menu
Libération
Forum de Strasbourg: les portraits

Emmanuel Ruben, une identité entre les lignes

L'Europe: un esprit de résistancedossier
Dossiers liés
L’écrivain interviendra ce samedi 18 mai à Strasbourg (à 14 heures à l'Aubette) dans le débat "Existe-t-il une culture européenne?"
Fresques dans le quartier catholique de Belfast. Avec le Brexit, une nouvelle frontière va-t-elle de nouveau séparer les deux Irlande? (Alain Rouiller/Alain Rouiller / Flickr)
par Nicolas Arzur
publié le 18 mai 2019 à 13h27
(mis à jour le 18 mai 2019 à 13h32)

Il est depuis son enfance obsédé par les frontières. De ces murs qui divisent les sociétés. De ces espaces cloisonnés qui séparent les êtres.

«J’ai grandi au bord du Rhône, ancienne frontière du royaume de France. L’idée même de traverser cette rivière, de franchir les départements, me fascinait.»

Géographe de formation — comme Julien Gracq, son mentor — Emmanuel Ruben, né en 1980, abandonne sa carrière d’universitaire pour se consacrer à la littérature et au dessin. Pour raconter ces lignes de démarcation, dresser le portrait de ses territoires fragmentés. Pour retrouver aussi le chemin de l’enfance, l’époque de ses premiers écrits. Celle de ses neuf ans, au soir du 9 novembre 1989, où il s’éprend à cartographier son pays imaginaire, la Zyntarie, aux confins de la France et d’une Allemagne historiquement transformée.

En «arpenteur des marges et des lisières», l'Europe devient son terrain de jeu. Comme dans Le Cœur de l'Europe (La Contre-allée, 2018), journal de bord de son voyage sur la route des migrants en ex-Yougoslavie. Il y dépeint, d'une plume soignée et précise, un Vieux Continent autrefois traversé par les ponts, passerelles entre les peuples, aujourd'hui gangrené par la multiplication des postes aux frontières.

Dans ses récits — La Ligne des glaces, Terminus Schengen, Halte à Yalta, etc. — Emmanuel Ruben disserte sur l'Europe d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Son pays. «Je ne me sens français que par la langue; mais par l'histoire et mes origines, je suis européen. Un écrivain européen de langue française.» Celui qui est depuis un an à la tête de la Maison Julien-Gracq puise son inspiration dans ses voyages en Europe de l'Est et ses années passées à enseigner en Turquie, en Ukraine, en Lettonie, en Serbie.

Avec sa dernière œuvre, Sur la route du Danube (Rivages, 2019), Emmanuel Ruben entend raconter cette Europe qui cherche encore ses contours. Continent malade des frontières intracommunautaires. Espace amnésique de sa partie orientale, extérieure à Schengen. Un récit au long cours d'une odyssée cycliste, longue de 4000 km en remontant le Danube, fleuve frontière qui sépare ses deux Europe. Son périple commence à Odessa (Ukraine), périphérie européenne, et se termine en son centre, à Strasbourg, au Parlement européen. «Je voulais me prouver à moi-même que j'étais un Européen. Me le prouver et me l'éprouver jusque dans mes mollets. Car comme tous ceux de ma génération qui ont grandi avec la mondialisation, je connais mieux la géographie du monde entier que celle de mon propre pays, l'Europe.»