C'est François Hollande qui l'assène: «L'Europe est arrêtée, divisée, bloquée». Le constat est sans appel. Envolé, l'espoir d'une Europe forte et unie ? À une semaine des élections, les rêves nourris par la construction européenne à la sortie de la Seconde guerre mondiale semblent bien loin. L'Europe ne fait pas recette dans les urnes : que diraient les bâtisseurs de l'Union, Jean Monnet et Robert Schuman, en découvrant l'abstention record (57,5 % en France 2014) et prévue (66 % pour l'ensemble des pays de l'Union pour le scrutin 2019, selon l'Eurobaromètre).
L'Europe et ses valeurs. Les pères fondateurs y croyaient. Les projets étaient nombreux jusqu'au début des années 1990 : création du Conseil de l'Europe, de la Communauté du Charbon et de l'Acier, d'une Communauté économique Européenne… Derrière toutes ces initiatives, des ambitions politiques : «Il y a eu un idéal européen, très fort, qui s'est trouvé traduit dans les traités. La paix, la démocratie et la libre circulation, c'étaient les utopies de l'époque», analyse François Hollande, à l'occasion du forum Libération. Aujourd'hui, l'Europe se résume à l'Union Européenne. Elle ne fait plus rêver. Un ensemble d'institutions au fonctionnement opaque. Un projet jamais achevé. Pour Emmanuel Rubens, écrivain français qui a sillonné le continent en remontant le Danube à vélo, «l'Europe ne peut pas faire rêver puisque c'est un fantôme, elle n'existe qu'à moitié».
Gilet jaune et colère noire
Plus encore que l'indifférence, l'Europe suscite la colère. Dans les rues de Strasbourg, les griefs s'accumulent : «Depuis l'introduction de l'euro, tout a augmenté, à commencer par la baguette», s'exclame Reine Frey, rencontrée place Kléber. «Je me souviens, avant, on donnait cinq francs à son gamin pour qu'il s'achète des bonbons. Maintenant, il faut donner cinq euros». Pas complètement exact si l'on s'en fie à l'Insee. Mais le ressenti est là…
La baisse du pouvoir d'achat est sur toutes les lèvres, à commencer par celles des Gilets jaunes, qui depuis six mois sont vent debout contre Bruxelles. Une exaspération qui va de pair avec le succès grandissant de leaders eurosceptiques, à l'instar de ceux récemment portés au pouvoir en Italie et en Hongrie. En Pologne, pays natal de l'écrivaine Grazyna Plebanek, invitée de notre forum, le maire de Gdansk a été assassiné dans un contexte d'extrême tension politique en début d'année. Un acte qu'elle attribue au durcissement du discours ambiant depuis l'accession au pouvoir en 2015 du parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) : «c'est un discours de haine, le gouvernement parle une langue de propagande».
Une langue de cœur
Partout où les frustrations naissent, elles sont attribuées à l'Union Européenne et entraînent le succès de mouvements nationalistes. Pour remédier au problème, le romancier danois Jens Christian Grondahl plaide pour la création de partis transnationaux: «il faudrait fédérer cette indignation à l'échelle européenne pour ne pas la laisser aux partis du repli». Cette idée de créer des listes mélangeant des candidats de différents pays européens qui porte cette indignation a été retoquée par le Parlement.
Si l'issue politique semble bien incertaine, d'autres solutions sont possibles. «À la fondation de l'Europe, on a oublié l'aspect culturel alors que c'est ce qui crée un sentiment d'appartenance», constate Amin Maalouf. L'écrivain et académicien défend l'idée que la connaissance du Vieux Continent et l'entente entre les peuples européens commencent par le parler. «Dans les écoles, l'anglais devrait être la deuxième langue étrangère et non la première», s'exclame-t-il. Selon lui, si chacun a une langue de cœur, cela améliorera les relations entre les couples de pays européens comme l'Italie et l'Espagne ou la France et l'Allemagne. A Strasbourg, au forum Libération, sa déclaration a été largement applaudie. La langue comme solution pour relancer le rêve européen.
«Si 30 000 personnes gisent au fond de la Méditerranée pour avoir voulu rejoindre l'Europe, c'est bien qu'elle fait encore rêver», souffle Emmanuel Ruben. La crise des réfugiés, voilà peut-être l'un des points de bascule qui a divisé l'Europe entre partisans de l'hospitalité et défenseurs d'un retour aux frontières dures.
(Article rédigé par des étudiants du Cuej et de la filière européenne de Science Po Strasbourg)