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Libération
Forum de Strasbourg: reportage

Sauver l’Europe, avant que la jeunesse ne se sauve

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A moins d’une semaine des élections européennes, le risque d’abstention chez les jeunes inquiète. A Strasbourg, capitale européenne, les raisons de ce désamour sont multiples.
Lors d'un forum Libération sur les libertés publiques, en novembre 2015 à la Gaîté lyrique à Paris. (Laurent troude)
par Macha Menu, Agnès Faure et Judith Barbe
publié le 20 mai 2019 à 11h53

«Il faut que les jeunes s'expriment. Ils doivent prendre conscience qu'ils sont des citoyens européens à part entière!» Jérôme, 22 ans, se bat contre l'abstention. En 2014, 74% des jeunes de 18 à 24 ans n'ont pas voté aux élections européennes. Dimanche prochain, un sondage Ifop prédit 77% d'abstention... Depuis août 2018, Jérôme, étudiant en journalisme, milite donc chez les Jeunes Européens, une association transpartisane en faveur de la construction européenne. Il s'inquiète du «peu d'audience qu'a l'Europe aujourd'hui»: «Elle fait partie de notre quotidien. Il n'y a pas assez de médiatisation autour de l'Union européenne.»

Pour Bastien aussi il faut aller voter. Le jeune homme de 20 ans, qui s'identifie plutôt aux idées de Nicolas Dupont-Aignan, considère essentiel que les électeurs s'impliquent. «Une bonne partie du droit français est influencée par le droit européen. C'est l'un des votes les plus importants».

Alizée, originaire de Phalsbourg en Moselle, a 16 ans. Elle ne participera donc pas aux élections européennes la semaine prochaine. Mais elle est convaincue qu'à sa majorité électorale, «elle se sentira plus investie» dans la politique européenne, surtout contre les inégalités de genre. L'UE n'est pas un sujet qu'elle aborde avec ses parents. De fait, elle pense que l'UE ne lui apporte «rien de spécial» au quotidien. Au contraire d'Emilie, qui envisage de faire de l'Union européenne son métier. A 19 ans, la jeune femme est en première année de droit à l'Université de Strasbourg. «Je me suis toujours intéressée à plein de matières différentes à l'école et en particulier à l'histoire. J'adorais découvrir d'autres cultures à d'autres époques». Elle développe sa conscience européenne par l'école d'abord, par les réseaux sociaux ensuite : «Grâce à Internet, j'ai compris qui étaient les acteurs de l'Europe, quels étaient les enjeux actuels. Malgré les fakes news qui peuvent y circuler, ça a été un très bon outil pour moi», témoigne Emilie.

Une belle idée… à critiquer

Le Strasbourgeois Jérôme, qui habite depuis toujours en Alsace, connaît l'Europe d'abord grâce à la frontière. «Petit, j'ai d'abord connu l'appartenance nationale. Mais notre région pousse à un sentiment européen, j'ai voyagé en Allemagne dès mon enfance», raconte-t-il. Puis, plus âgé, il découvre le Royaume-Uni via Erasmus, s'initie à d'autres cultures et devient, à la demande d'un ami, le rédacteur en chef du journal des Jeunes Européens locaux. «A l'époque, l'Europe m'intéressait déjà mais avec le journal, j'ai pris goût à cet engagement. Tout n'y est pas parfait mais avec le dialogue, les débats, on prend conscience du rôle qu'on doit jouer.» Pour l'étudiant, l'Union est une belle idée, qui doit quand même être critiquée.

Bastien, fait partie de ces esprits critiques. Son sentiment est davantage celui d'une identification à un continent que celui d'une appartenance à un projet politique : «Je me sens Européen mais pas citoyen de l'Union européenne, détaille l'étudiant, c'est une appartenance en tant que Français, je suis Français et il se trouve que la France est sur le continent européen.»

Pour Jade, 19 ans, étudiante en droit, l'UE a permis à ce continent européen de retrouver la paix. Elle s'inquiète donc de «la montée des extrêmes», surtout à l'aube des élections européennes. Tout comme Alizée qui s'inquiète du succès du populisme. «Le nationalisme progresse. Je pense qu'avec le terrorisme, les gens ont peur et votent pour des partis nationalistes», explique-t-elle. Une crainte que partage Jérôme. Il redoute le repli sur soi : «Si on veut que l'Europe garde une place importante, on ne peut pas supporter pendant cinq ans les freins que représentent les partis nationalistes», avertit-il. Pour lui, le Brexit gêne moins l'Union européenne que le nationalisme : «Ils vont sortir, et après ce sera fini. Ils s'isolent à l'extérieur, je ne veux pas que certains pays s'isolent à l'intérieur de l'Union». Bastien ne partage pas son avis. L'étudiant pense que la sortie du Royaume-Uni représente l'un des plus gros problèmes de l'Union : «Le premier défi, c'est de survivre. Il faut gérer la sortie des Britanniques, puis gérer l'après.»

Une autre critique énoncée par les jeunes : l'inaction face aux changements climatiques. En témoignent les marches pour le climat demandant que le pouvoir se mobilise sur la question environnementale. Une démarche soutenue par plusieurs organisations dont «Notre Affaire à Tous». Le collectif tente de contraindre l'Etat français à respecter les accords de Paris signés lors de la COP 21 en novembre 2015. Il a suivi les 1,5 million de jeunes qui ont manifesté dans le monde le 15 mars. Marie Pochon, coordinatrice générale du mouvement, l'affirme : «avant on militait pour les générations futures, pour nos enfants, pour plus tard. Maintenant, les jeunes se battent pour eux».

(Article rédigé par des étudiants du Cuej et de la filière européenne de Science Po Strasbourg)