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«Le plastique dans les océans, c'est un peu comme une fuite d'eau dans une salle de bains. Avant d'éponger, il faut d'abord arrêter la fuite.» L'image, efficace, est employée par Romain Troublé, le directeur général de la Fondation Tara Océan, pour présenter la nouvelle «mission microplastiques 2019» de la goélette scientifique. Celle-ci doit partir ce jeudi de Lorient pour six mois, afin d'étudier les embouchures de dix grands fleuves européens (Tamise, Elbe, Rhin, Seine, Loire, Garonne, Tage, Ebre, Rhône, Tibre).
«Hémorragie»
But affiché, alors que 80% des déchets en mer sont d'origine terrestre : «Explorer et décrire les fuites de déchets plastiques vers la mer pour mieux endiguer cette "hémorragie".» Et tenter de répondre à une foule de questions. D'où proviennent exactement les déchets plastiques retrouvés en mer ? Sous quelles formes arrivent-ils ? En quelles quantités ? Quelle est leur toxicité ? Quels impacts ont-ils sur la biodiversité mais aussi sur la santé humaine ? Où faut-il concentrer nos efforts pour stopper cette pollution ?
Le constat actuel est alarmant. Et les chiffres donnent le tournis. Selon une étude de 2015 citée par Tara, environ 8 millions de tonnes de plastique sont rejetées chaque année dans l'océan, soit l'équivalent d'un camion-benne par minute. Sur ces 8 millions de tonnes, 600 000 tonnes proviennent d'Europe, ce qui fait du Vieux Continent la deuxième source de pollution plastique après la Chine, qui rejette 2,8 millions de tonnes par an. Les bouteilles, sacs, tongs et autres «macrodéchets» que l'on voit flotter à la surface de l'océan ne sont que la partie émergée de l'iceberg.
Micro et nanoplastiques
Car 94% des plastiques relevés dans les eaux océaniques sont plus petits qu'un grain de riz. Omniprésents dans les océans, ces microplastiques (de 0,2 à 5 millimètres de diamètre) sont essentiellement issus de la fragmentation des macrodéchets sous l'effet des rayons du soleil et des vagues. «Dans certaines zones de Méditerranée, la mer la plus polluée au monde, il y a autant de microplastiques que de planctons, dont se nourrissent les poissons, constate Jean-François Ghiglione, directeur de recherche au CNRS et directeur scientifique de la mission. Résultat, la moitié de l'assiette des poissons est remplie de ces microplastiques, qu'ils confondent avec leur nourriture.»
Les microplastiques peuvent ainsi se retrouver dans la chaîne alimentaire, jusqu'à nos assiettes et à nos organismes. «Dans une portion de moules, il peut y avoir 300 particules de plastique», observe le scientifique. Glaçant. Ils peuvent aussi servir de «radeaux» à des polluants (tels que des métaux lourds ou des pesticides) et à des organismes potentiellement invasifs ou pathogènes.
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Plus inquiétant encore, les microplastiques peuvent se fragmenter en particules nanométriques. Un million de fois plus petits que les microplastiques et mille fois plus petits que les microfibres de nos vêtements, ces nanoplastiques préoccupent très fortement les scientifiques. Ils peuvent en effet s'introduire dans les cellules des êtres vivants, se retrouver dans le cerveau des poissons… et potentiellement dans nos corps. L'un des défis de la nouvelle mission Tara sera d'en savoir plus sur ces nanoplastiques et sur leurs impacts, un champ de recherche extrêmement récent puisqu'il a moins de cinq ans.
«La solution se trouve à terre»
Lors de cette mission, qui impliquera une quarantaine de scientifiques, des échantillonnages seront réalisés à la surface et jusqu'à 50 mètres de profondeur, à l'aide de différents filets tirés à partir de la goélette Tara. Mais aussi en remontant l'embouchure des fleuves en zodiac, jusqu'à l'endroit où il n'y a plus de salinité mais uniquement de l'eau douce. Alors qu'on a longtemps pensé que les fleuves ne charrient que des macrodéchets, une étude menée sur la Tamise au Royaume-Uni a montré que 60% du plastique arrivant dans la mer est déjà fragmenté sous forme de microplastiques. La mission Tara cherchera notamment à approfondir ce résultat et à mieux comprendre pourquoi et comment le plastique se fragmente dans les fleuves.
In fine, le but de la fondation Tara Océan et du CNRS est de compléter la connaissance scientifique sur ces déchets plastiques – impossibles à collecter en mer sous forme «micro», et encore moins sous forme «nano» –, pour que les politiques publiques de lutte contre ce fléau soient mieux orientées. «Les marins comme les scientifiques savent que nettoyer l'océan ne sera pas la solution, que c'est une utopie. La solution se trouve à terre», insiste André Abreu, directeur des relations internationales de Tara Océan.
L'Union européenne veut interdire d'ici 2021 certains plastiques à usage unique tandis que le gouvernement français doit présenter d'ici l'été un projet de loi sur l'économie circulaire. Et chacun à notre niveau, nous pouvons réduire l'usage de ce matériau pétrochimique, en particulier dans les emballages (à l'origine de 60% à 80% des plastiques trouvés en mer). Mais aussi mieux trier nos déchets, réparer, réutiliser. Bref, couper le robinet.
Article republié dans le cadre de notre dossier web «Consommation reponsable», réalisé en partenariat avec MAIF. Supplément à paraître le vendredi 29 novembre dans Libération.