«La France baigne déjà dans le populisme. Mais tout est populiste: le Rassemblement National (RN), La France Insoumise (LFI), les médias comme BFM TV, les réseaux sociaux». Olivier Guez, prix Renaudot 2017 et présent au forum Libération, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Un lent poison.
VOX, parti d'extrême droite espagnol, est arrivé troisième des élections générales espagnoles le 28 avril. Avec 10% des voix, il recueille 23 sièges au Parlement et entre dans les négociations pour construire une majorité. La montée de VOX en Espagne n'est pas un épiphénomène : FPÖ en Autriche, AfD en Allemagne, Dansk Folkeparti au Danemark… Les dernières années ont vu une accélération de la montée du populisme en Europe occidentale. «Les ressorts du populisme fonctionnent de la même façon dans chaque pays», rappelle Ece Temelkuran, journaliste turque exilée à Londres, dans Le Point, le 14 mai 2019.
La définition du populisme, protéiforme, garde une constante: il s'agit d'un courant politique qui se réfère au peuple comme un tout unique et revendique la primauté de sa représentation. En France, pendant les élections présidentielles de 2017, plusieurs candidats se sont désignés comme porte-parole du «peuple» contre le «système» et les élites, qu'elles soient politiques, médiatiques ou économiques. Au premier tour, l'extrême droite de Marine le Pen, avec le Rassemblement National (RN), a remporté 21% des voix et à l'extrême gauche, le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France Insoumise LFI est arrivée à 19% des voix au premier tour. C'est un «nous» contre un «eux», les élites étant désignées comme déconnectées du peuple et défendant leurs propres intérêts. Selon la dernière enquête du Cevipof, 85% des Français considèrent que «les politiques ne se préoccupent pas d'eux».
Bouc émissaire
Ce manque d'intérêt nourrit l'amertume de ceux qui se sentent abandonnés. «Ce sont des gens qui voudraient qu'on entende leur voix», explique Grazyna Plebanek, auteure qui a également participé au forum. «L'ennemi» est une composante clé du discours populiste, un danger pour le peuple. Il peut prendre le visage de l'immigré comme en France et en Italie. Celui du musulman inassimilable, comme aux Pays-Bas. En Pologne, patrie de Grazyna Plebanek, le repoussoir a évolué au fil des années. «Ca a d'abord été l'immigré puis les femmes, et maintenant c'est la communauté LGBT». Le bouc émissaire peut même être ciblé directement comme George Soros, financier libéral juif, d'origine hongroise, naturalisé américain, désigné comme ennemi n°1 du peuple Hongrois.
L'Europe est l'objet de critique préféré de presque tous les mouvements populistes. En substance : «l'Europe de Bruxelles», détachée du peuple, «récupère» de l'argent jamais redistribué. Elle «force» la libéralisation des services publics et «efface» les frontières nationales. Autant d'arguments fondés sur des mythes qu'utilisent les partis populistes européens. Pourtant, le RN, ancien Front National, n'a pas toujours été europhobe. A sa création en 1972, l'Europe est considéré comme un «lent agrégat dont l'Histoire fut le ciment» (1). Le virage antieuropéen de certains partis date des années 90 et 2000. La construction devient l'outil du capitalisme américain. Selon Olivier Guez, «le populisme est une réaction à la mondialisation». Il a été renforcé par la crise économique en 2008 et celle migratoire de 2015. Selon le Cevipof, 63% des personnes interrogées considèrent «qu'il y a trop d'immigrés en France».
Même le parti présidentiel utilise la rhétorique populiste. «Nous sommes des vrais populistes, nous sommes avec le peuple», dit le président de la République sur BFMTV en novembre 2018. Emmanuel Macron a été élu sur la promesse d'un «nouveau monde». Il rompt avec «l'ancien», une stratégie de polarisation proche de celle des populistes qu'il combat. En Europe, ils font des scores pendant les élections. Le Jobbik a obtenu 20,3% des voix aux législatives hongroises de 2014, le Perussuomalaiset finlandais 17,6% des voix aux législatives de 2015, entre 14 et 24% pour l'Alternative für Deutschland aux élections régionales de 2016 et le FPÖ autrichien a convaincu 35,1 % des autrichiens au premier tour des présidentielles d'avril 2016. Une porte ouverte vers le gouvernement.
Cette tendance aboutira-t-elle, en France, à la prise du pouvoir par un parti populiste? C'est la thèse défendue par le journaliste Roberto Saviano, lors d'une conférence organisée par Le Monde le 7 octobre 2018. Son analyse : délitement du système politique, explosion du bipartisme traditionnel, décrédibilisation complète des partis politiques. 9% des Français interrogés font confiance aux partis politiques, selon le Cevipof. Saviano parle de l'Italie comme d'un «laboratoire politique», précurseur des évolutions sur le continent européen. La décomposition et le pourrissement du système politique italien seraient donc prémonitoires de la situation dans l'hexagone. «Regardez ce qui se passe en Italie : c'est votre avenir».
(1) Pascal Perrineau, «L’Europe au miroir du national populisme», «Cités» n° 71, Presses Universitaires de France, 2017.