L’épargnant est-il solidaire ? En principe non. De ses placements, il attend par définition deux choses: la sûreté, qui lui donne l’assurance de ne pas perdre ses économies; le rendement, qui compense l’immobilisation de ses fonds et rémunère le risque qu’il est prêt à courir. Entre ces deux pôles, il arbitrera selon sa préférence pour l’un ou pour l’autre, pour la certitude de ne pas perdre ou pour l’espoir de gagner, quitte à assumer la perte éventuelle. Un point c’est tout. Ainsi la «finance solidaire», selon la théorie économique classique, est un oxymore. On épargne pour soi ou pour les siens, non pour les autres, qu’on ne connaît pas.
A moins que la théorie soit fausse, ou vraie pour une partie seulement. L’affaire est philosophique. La société est-elle faite d’individus isolés, soucieux seulement d’accroître leur bien-être personnel ? Ou bien ces individus, en principe égoïstes, sont-ils aussi des animaux sociaux, qui savent, au fond d’eux-mêmes, qu’ils ne seront pas heureux dans une société malheureuse ?
Et de fait, une vaste prise de conscience sociale et écologique traverse les démocraties. Dès lors qu’ils bénéficient de garanties suffisantes (mises en place par une réglementation publique), les épargnants tendent de plus en plus à choisir des placements «responsables», socialement utiles ou respectueux de la planète. Surprise ? Pas tout à fait. L’individu des sociétés ouvertes est un hybride : il pense à lui, mais ce faisant, il pense aussi à la collectivité. Il veut investir dans des valeurs financières, mais aussi, pour partie, dans des valeurs morales. Jusqu’où ira cette réforme de l’esprit public ? Au cœur du monde financier, souvent brutal et autocentré, l’idée du bien public peut-elle prendre sa place ? En un mot, peut-on croire à l’utopie d’un capitalisme qui se réformerait de l’intérieur ?
Questions cruciales, questions d’avenir, qui seront au cœur de la journée qu’organise Libération, en partenariat avec MAIF. Pour essayer de comprendre comment «les eaux froides du calcul égoïste» (Marx), peuvent se réchauffer au foyer de la solidarité humaine.