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La progressive élaboration de structures capables de dominer l’espace et le temps permet à l’arbre de se réaliser comme un individu caractérisé par sa couronne (le
houppier
) qui l’enveloppe parfois jusqu’au sol lorsqu’il croît seul. On peut alors considérer qu’il représente un organisme à part entière, avec un système racinaire en interaction avec un système foliaire et inversement.
Lorsqu’il s’associe à d’autres arbres pour constituer une forêt naturelle, ce sera en fonction du sol, de l’exposition, du climat local et de la présence d’essences disséminant leurs graines. Cette association n’a pas lieu au hasard mais se base sur une forme de complémentarité des espèces où jouent de subtiles synergies. Même la configuration de la forêt, sa morphologie, va tendre vers un tout, délimitant un espace intérieur aux caractéristiques différentes des conditions régnant hors forêt. Il est bien connu que le climat forestier se distingue du climat extérieur. Dans l’espace forestier, le sol est très riche en matière organique, ce qui, associé à la profondeur de l’enracinement, lui confère une capacité de stockage de l’eau inégalée. Qu’il contribue à la lisère ou qu’il appartienne au peuplement central, on peut considérer que l’arbre d’une essence donnée constitue alors une sorte d’organe de la forêt.
La forêt, organisme et organe de la terre
Comprise de cette manière, la forêt peut être considérée comme un organisme d’ordre supérieur auquel les arbres contribuent. Et à son tour, la forêt fonctionne comme organe vital pour la terre comprise en tant qu’organisme.
Ceci est devenu particulièrement évident depuis les travaux d’Anastassia Makarieva et de Victor Gorshkov selon lesquels, au-delà d’un simple recyclage des précipitations au niveau local, les forêts équatoriales sont à l’origine d’un transfert d’humidité atmosphérique des océans vers l’intérieur des continents. Ainsi, l’impact extrême du rayonnement solaire au niveau de l’équateur est absorbé, grâce à des écosystèmes riches en eau et en biomasse dans ces zones du globe. La forêt amazonienne fonctionne alors comme un gigantesque cœur hydrologique, attirant les masses d’air de l’Atlantique et les enrichissant en eau, pour effectuer une demi-douzaine de cycles d’évapotranspiration – précipitation, progressant d’Est en Ouest, et pour finalement s’élever dans le massif des Andes et dévier vers le nord (continent nord-américain) et vers le sud (Argentine) en donnant naissance à des pluies chaudes à des latitudes éloignées de l’équateur. Au Fleuve Amazone drainant son vaste bassin versant et s’écoulant d’Ouest en Est vient donc se superposer un énorme fleuve atmosphérique se déplaçant en sens contraire en se ramifiant.
On peut donc voir les forêts tropicales comme composantes actives de la biosphère (ou organes) protégeant la Terre des ardeurs du soleil et garantissant à la fois le fonctionnement et la stabilité des grands cycles géoclimatiques.
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