Voilà dix-neuf ans qu'Isabelle Willhelm, 60 ans, consacre ses nuits à veiller sur les autres. C'est son métier, et elle ne le changerait pour rien au monde. Chaque soir, dans la région de Mulhouse, quand les médecins ont fermé leurs portes, que les aides-soignants et infirmiers ont regagné leurs foyers, et que les personnes dépendantes et isolées se retrouvent sans personne à appeler, Isabelle Willhelm prend le relais. Ses patients sont des personnes pour qui il est difficile voire impossible d'effectuer seuls des gestes du quotidien, à cause de leur grand âge, d'une maladie, ou d'un handicap. «Si on n'était pas là pour les coucher, ils seraient obligés d'aller au lit très tôt, pour pouvoir libérer les auxiliaires de vie qui s'occupent d'eux le jour. Ou bien ils ne pourraient plus vivre chez eux», explique-t-elle. Isabelle fait partie des neuf auxiliaires de vie du Fanal. Un service rare en France, permet aux plus fragiles résidants du Haut-Rhin, de continuer à être aidés, une fois la nuit tombée.
Tous les soirs, à 21 heures, la sonnette de l'appartement d'Agnès Geiger résonne. Derrière la porte, Isabelle ou un de ses collègues. «C'est un peu la surprise, je ne sais jamais sur qui je vais tomber, mais je suis toujours contente de le voir!», confie la quinquagénaire qui vit à Pfastatt, une petite ville proche de Mulhouse. Paralysée depuis son enfance par la maladie des os de verre, elle a besoin d'une assistance quasiment à temps plein. «Si je n'avais pas trouvé un moyen d'être aidée la nuit, j'aurais dû quitter mon appartement puis partir en foyer. Je n'en n'avais pas vraiment envie», confie-t-elle. C'est la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui prend en charge cet accompagnement supplémentaire. L'auxiliaire de vie l'aide à se changer, à se brosser les dents, puis la porte dans son lit : «j'ai dû leur montrer comment faire pour ne pas me casser», raconte-t-elle. Quarante-cinq minutes plus tard, l'auxiliaire s'en va, et elle peut s'endormir tranquillement.
Le programme des veilleurs de nuit se poursuit bien après les routines programmées comme celle d’Agnès. Ils peuvent être appelés à tout moment. Certains problèmes ne sont pas assez graves pour nécessiter l’intervention des urgences, tout en étant trop fâcheux, pour pouvoir attendre le lever du jour. «La nuit est porteuse d’angoisses, encore plus pour les personnes seules. Même si ce n’est pas tous les jours, ça nous arrive d’être appelés pour apaiser des patients anxieux», raconte Isabelle Willhelm. Elle estime qu’elle parcourt en moyenne entre cinquante et cent kilomètres par garde. Et ce n’est pas toujours simple ! Elle se souvient avec beaucoup d’émotion d’une nuit un peu particulière, où les routes étaient recouvertes de plus d’un mètre de neige: «On a eu beaucoup de mal à avancer mais on s’est entraidé et on est allé coucher nos patients les uns après les autres, se remémore-t-elle. Certains n’en revenaient pas de nous voir arriver à 1 heure du matin au lieu de 22 heures!». C’est d’ailleurs parce qu’elle sait qu’elle peut compter sur ses auxiliaires de nuit qu’Agnès dort aussi bien : «Ça me rassure de pouvoir les appeler. Je sais que je peux compter sur quelqu’un».