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Forum Instincts solidaires:Tribune

La culture de la solidarité

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Pour répondre efficacement au problème de la dépendance, il faut mettre en place une solidarité organique qui mobilise tous les acteurs : Etat, associations, entreprises, universités... Une tribune de la philosophe Cynthia Fleury. Elle participera samedi 30 novembre au Forum Libération «Instincts solidaires».
(Flickr/ Courtney Carmody)
par Cynthia Fleury, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la Chaire Humanités et Santé
publié le 12 novembre 2019 à 7h42

La solidarité est une affaire collective. Certes relevant aussi de l’éthique individuelle, par les choix, les valeurs, les pratiques que nous prônons, mais la seule éthique individuelle n’est pas soutenable, ni même efficace à terme. Nous transformons alors les plus solidaires d’entre nous en personnalités sacrificielles. C’est aujourd’hui le cas avec les aidants familiaux qui s’épuisent littéralement en «aidant», en portant à bout de bras, alors qu’ils sont eux-mêmes de plus en plus vieillissants, souvent malades et déprimés, leurs aînés ou les personnes dépendantes de leur entourage. Il faut, à l’inverse, professionnaliser l’aide, non pas la déshumaniser, mais permettre à la juste distance de la compétence et de l’empathie de faire son travail, pour ne pas être brûlé en retour.

Certes, en son temps Durkheim avait noté ce paradoxe entre solidarité mécanique et solidarité organique, la première s’appliquait aux systèmes sociaux traditionnels, ceux de la famille et de la communauté, alors que la seconde relevait de la division du travail et de la modernité, en devenant politique, mais dès lors moins morale, et dessaisie de l’obligation de charité. Seulement tel est le prix de l’efficace. Certes, nous devons veiller, et l’équilibre n’est pas aisé à trouver, à maintenir une culture solidaire, une forme de civilité de l’entraide, qui ne relève pas strictement des institutions publiques mais d’une appétence plus individuelle à la fraternité, mais encore une fois l’un des premiers tests de crédibilité de nos politiques publiques est de consolider l’État social en étant «solidaires».

À côté des institutions, il y a ces «corps intermédiaires» qui ne disent pas leur nom, et qui sont en fait d’autres «institutions», à savoir les associations, les universités, les entreprises ; les deuxièmes et troisièmes sont en train de révolutionner leur approche, en développant de plus en plus systématiquement des responsabilités sociales et environnementales, solidaires, tant au niveau de la recherche que de l’économie. Elles se vivent désormais comme grands acteurs de la transformation sociétale et solidaire : solidarité écologique, solidarité intergénérationnelle, solidarité de genre, etc. Concernant la prise en compte du grand âge, ces trois grandes «entités», aux formes multiples, s’allient pour accompagner l’Etat et ses politiques publiques afin d’articuler au mieux les nouvelles technologies (intelligence artificielle, robotique), les avancées des sciences médicales, l’apport des sciences humaines et sociales, le questionnement éthique et philosophique bien sûr, tout le rôle pilote, expérimental des associations des acteurs concernés, leur plaidoyer inestimable, enfin des entreprises qui sont de plus en plus nombreuses à inventer des nouveaux modèles économiques de rentabilité, associés au progrès social, entreprises à mission, ou relevant d’une économie plus solidaire.

Cette culture de la solidarité, au sens large, est en marche, et elle inspire grandement la nouvelle génération qui s’apprête à devenir active. À juste titre, dans la mesure où l’une des belles nouvelles communes à partager est l’allongement de la vie.