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Libération
Forum Instincts Solidaires: Reportage

Leïla, une enfant au chevet d’un parent malade

Instincts solidairesdossier
Rencontre avec de jeunes aidants confrontés à la maladie de leurs proches et soutenus par l’association Jade. Ce thème sera abordé samedi 30 novembre à l’occasion du Forum Libération «Instincts solidaires».
(Flickr/ Guillaume Carta W#3 Enfance)
publié le 14 novembre 2019 à 9h49

«Une algodystrophie à la jambe et à la main». À 11 ans, Leïla* prononce sans aucun accroc ce nom barbare, inconnu pour presque tous les enfants de son âge. «C'est des grosses douleurs, qui durent longtemps, et parfois ça empêche de marcher.», poursuit-elle. Si elle connaît si bien le nom de cette maladie, c'est parce que c'est celle dont souffre sa mère. Leïla est une jeune aidante : avec ses trois grands frères et grandes sœurs, ils soutiennent seuls et au quotidien leur mère handicapée. «J'essaye de toujours voir avant elle les trucs à faire pour les faire avant elle. Ça l'énerve, mais c'est pour la protéger», explique-t-elle en faisant tourner ses mèches brunes entre ses doigts.

C'est le premier jour des vacances de la Toussaint, et pour une fois, Leïla, est vraiment en vacances. Comme onze autres enfants de son âge, elle a posé ses valises au domaine de Chamarande, en Essonne. L'association Jeunes aidants ensemble (Jade) y organise depuis six ans des ateliers cinéma-répit, à destination des jeunes aidants. Une initiative pionnière en France, imaginée par la psychologue clinicienne et actuelle présidente de l'association Françoise Ellien, proposée gratuitement aux familles grâce à des subventions du département. Leïla et ses camarades ont une semaine pour réaliser, avec des professionnels, un petit film d'animation sur leur quotidien. Un moyen pour eux de s'exprimer, mais surtout, de se libérer.

Combien sont-ils, comme Leïla, à passer une grande partie de leur temps à soutenir un proche alors qu'ils sont encore loin de l'âge adulte ? Il n'existe aucun décompte officiel. L'association Jade, estime que sur les 11 millions d'aidants en France, 500 000 auraient moins de 25 ans. «Les médecins sont encore peu formés et font rarement attention à eux, ce qui complique leur identification», explique Amarantha Bourgeois, directrice des projets de Jade. Elle souligne aussi que les jeunes aidants n'ont pas toujours conscience de leur rôle.

C'était le cas de Lisa*, 17 ans, qui affirme ne pas avoir su qu'elle était une jeune aidante avant de découvrir Jade. Son frère, de cinq ans son cadet, est paralysé à cause d'une grave maladie génétique. Lisa et les autres membres de la famille l'aident à plein temps. «Je l'habille, je le retourne dans son lit… Mais pour moi, j'étais juste une grande sœur». La première fois qu'elle a participé à un atelier Jade, elle avait 11 ans. Six ans plus tard, elle y prend part en tant qu'animatrice stagiaire. Ce qui l'a poussée à revenir ? Pouvoir aider, encore. Mais cette fois, des enfants qui vivent la même chose qu'elle. «On se sent moins différents quand on réalise qu'on n'est pas seuls. C'est une semaine qui leur permet aussi de beaucoup échanger entre eux, confie-t-elle. Et je suis capable de les comprendre».

Stigmatisation, décrochage scolaire, négligence de soin… Sans accompagnement, les jeunes aidants sont exposés à de grandes difficultés. Le 23 octobre, à l'occasion de l'annonce de la stratégie de soutien aux aidants, Edouard Philippe a assuré que le personnel de l'Éducation nationale serait mieux formé, pour identifier ces jeunes, et les accompagner. De son côté, Jade, travaille pour développer son modèle de séjour de répit. Une pause essentielle, accessible depuis un an à quelques jeunes en Occitanie, grâce à une antenne de l'association. Une autre devrait bientôt ouvrir, cette fois, en Normandie.

*Les prénoms des mineurs ont été modifiés.